Monétisation de Youtube : les raisons de la déperdition

Youtube est la plus grosse audience de la musique en ligne, mais c’est aussi la moins monétisée. Ou devrait-on plutôt dire la « moins bien » monétisée ; ce qui veut dire qu’un mieux est possible. La marge de progression des revenus que la plateforme de vidéo de Google est susceptible de générer pour les ayant droit de la musique est très importante.

On dispose de peu d’informations sur l’audience réelle de Youtube, et en particulier sur celle de la musique sur Youtube, en dehors de quelques chiffres lâchés ponctuellement la plateforme. Toute type de vidéos confondues, elle revendiquait plus d’un milliard de visiteurs uniques par mois l’an dernier. Une enquête réalisée en 2014 auprès d’un échantillon de 1000 utilisateurs britanniques de Youtube par Midia Consulting donne la mesure de leur appétence pour la musique : ils sont 44 % à regarder des vidéos musicales, et près de la moitié d’entre eux (47 %) sont des « usagers fréquents », qui consultent des clips musicaux tous les jours (15 %) ou plusieurs fois par semaine (32 %).

Rapporté à la population française, et toutes réserves faites sur les différences de comportement entre internautes français et britanniques, cette grille de lecture donne une moyenne de 13 millions de consommateurs de musique sur Youtube en France tous les mois (sur la base d’une trentaine de millions de visiteurs uniques par mois), dont 6 millions d’ « utilisateurs fréquents ». Mais le revenu annuel moyen par utilisateur (ou ARPU, pour Average revenue per user) reste au ras des pâquerettes.

Manque à gagner : du simple au double

La monétisation de l’audience de Youtube, première destination musicale sur Internet, laisse largement à désirer. La plateforme prétend avoir reversé plus d’un milliard de dollars aux ayant droit des vidéos qu’elle héberge depuis la mise en place de son système d’identification Content ID en 2007. A raison de 145 millions de dollars par an en moyenne, cela ne représente qu’un ARPU annuel de 0,15 dollar pour les ayant droit des vidéos hébergées dans le monde.

En France, le revenu annuel moyen par consommateur de vidéos musicales sur Youtube est nettement supérieur. Il s’établissait autour de 0,65 € ($ 0,8) l’an dernier, selon une estimation du magazine en ligne professionnel Haut Parleur réalisée à partir des chiffres du SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique). C’est cinq fois plus que l’ARPU annuel de Youtube au niveau mondial, tous types de contenus confondus ; mais trois fois moins que celui du streaming audio gratuit financé par la publicité, tant décrié par ailleurs. Les volumes font la différence. En 2014, le streaming vidéo a ainsi rapporté presque qu’autant à l’industrie phonographique française que le streaming audio gratuit.

Le lancement de la formule d’abonnement Youtube Red va permettre d’optimiser le degré de monétisation de Youtube dans les mois à venir. Toujours selon l’enquête menée par Midia Consulting au Royaume Uni l’an dernier, 7 % des consommateurs de musique sur Youtube se disaient prêt à souscrire à cette offre. En France, cela pourrait représenter 500 000 abonnés, et quelques 15 millions d’euros de revenus supplémentaires pour l’industrie phonographique, si elle parvient à capter la moitié de cette nouvelle manne. De quoi plus que doubler les revenus du streaming vidéo pour la musique, et par la même occasion l’ARPU annuel de Youtube.

Des trous dans la raquette

La vraie marge d’optimisation de la monétisation de Youtube, cependant, se trouve ailleurs. Une part significative des revenus auxquels pourraient prétendre les ayant droit leur passe en effet sous le nez. En 2014, la plateforme de vidéo de Google est réputée avoir réalisé un chiffre d’affaires publicitaire de 3,5 milliards de dollars, dont elle aurait dû reverser 55 % aux ayant droit ; soit 1,75 milliard de dollars pour ce seul exercice. Mais de son propre aveu, Youtube ne leur a reversé qu’un milliard de dollars sur plusieurs années. C’est dire la déperdition qui a lieu en terme de monétisation. Et le montant des droits non réclamés qui vient grossir le cash flow de Google à défaut de trouver preneur.

« Le moteur de reconnaissance de Youtube est excellent pour faire rapidement un premier tri sur de gros volumes, mais il y a des trous dans la raquette – c’est une évidence -, qui sont parfois très gros », explique Jean-François Bert, PDG et fondateur de Transparency, une compagnie qui aide les sociétés de gestion collective comme la Sacem à optimiser leur gestion des droits sur Internet. « Il y a d’une part un enjeu de volumétrie, résume t-il, avec des milliards de lignes de reporting à traiter qui comportent chacune beaucoup d’informations. Et d’autre part un enjeu de fiabilité des données renvoyées par les plateformes, qui sont rarement complètes. » Les clips officiels postés par les labels sont en général très bien identifiés et monétisés. Mais c’est une autre affaire avec les vidéos que postent les utilisateurs : « Sur une centaine de pays, avec tous les UGC qui ne sont pas reconnus par le fingerprinting de Youtube, le manque à gagner est énorme ».

 

tracknclaim

La société française Transparency, qui a développé des algorithmes permettant d’automatiser le traitement des gros volumes de données en provenance de plateformes comme Youtube, met à disposition des ayant droit un outil, Track’n’claim, permettant de détecter pour une vidéo donnée ce qui bloque ou retarde le versement de droits par Youtube. D’un territoire à l’autre, les raisons peuvent être très diverses, selon que tous les ayant droit d’une œuvre n’ont pas été clairement identifiés ; que des conflits de revendication des droits surviennent entre plusieurs éditeurs ou sociétés d’auteurs ; ou que Youtube ne monétise toujours pas les contenus sur le territoire où l’oeuvre a été consommée.

 

De nouveaux intermédiaires

Tracer toutes les utilisations des œuvres musicales dans le monde – sur les réseaux numériques comme dans les médias – et réclamer sa part de droits est devenu un créneau porteur, sur lequel se sont engouffrés de nouveaux intermédiaires comme le suédois Kobalt. Fondée en 2001 par Willard Ahdritz, cette compagnie fournit des services d’administration des droits d’auteur et droits voisins à l’international  à un portefeuille de plus de 8000 artistes prestigieux (de McCartney à Trent Reznor, en passant par Gotsye, Björk, Dave Grohl, Dave Stewart, Gwen Stefany, Kid Rock, Joss Stone, Pearl Jam, Phoenix, ou encore Sonic Youth) et à de nombreux éditeurs indépendants : avec du reporting en temps réel, de nombreux outils analytiques, et un système d’avance qui permet de réduire de moitié les délais de répartition.

La plateforme technologique de Kobalt lui permet de collecter directement les droits d’auteur de ses clients auprès des sociétés de gestion collective et de plateformes comme iTunes, Spotify ou Youtube. Grâce à son système d’identification des UGC, ProKlaim, elle revendique de percevoir 20 % à 30 % de droits en plus et plus rapidement. Pour ceux qui sont membres de la société d’auteurs américaine AMRA (American Music Rights Association), rachetée par Kobalt l’an dernier, les revenus en provenance de Youtube devrait croître de 50 %, affirme Willard Ahdritz au site anglais Music Business Worldwide. « Lors de l’audit que nous avons fait, nous sommes parvenus à identifier 99 % des vidéos », indique t-il.

Kobalt, qui collecte également les droits voisins de nombreux labels en interface avec les sociétés civiles de producteurs dans différents pays, n’est pas le seul à offrir des services de ce type aux ayant droit de la musique. Le français Transparency est du lot, avec son outil Track’n’claim, mais également des sociétés comme Audiam – une entreprise créée par l’américain Jeff Price, fondateur et ex-PDG de l’agrégateur Tunecore, aujourd’hui propriété de Believe.  Youtube n’est pas leur seule cible. La déperdition de monétisation touche également des plateformes ne proposant que des contenus officiels, comme Spotify, qui ne disposent pas toujours de toutes les autorisations nécessaires pour mettre un contenu musical à disposition, ou de toutes les métadonnées permettant d’identifier clairement chacun des ayant droits à rémunérer.

Enjeux de métadonnées

Mandatée par le label indépendant américain Victory Records (A Day to Remember, ForeverAtLast, Emmure), pour auditer ses reportings en provenance de Spotify, Audiam a ainsi pu déterminer que sur 53 millions d’écoutes enregistrées par son catalogue, aucun droit d’auteur n’avait été versé par la plateforme de streaming à sa filiale Another Victory, qui gère son publishing (droits sur les paroles et les partitions). La mauvaise qualité des métadonnées fournies aux plateformes est souvent en cause dans ce genre de déboire. Un point sur lequel doivent porter les efforts de chacun, pour rendre le reporting des plateformes beaucoup plus fiable.

 

youtube

Pour le streaming audio gratuit, le revenu annuel moyen par utilisateur peut être très variable, en fonction du chiffre d’affaires publicitaire réalisé par les plateformes. Avec un revenu de 13 millions d’euros pour l’industrie phonographique en 2014, et une audience moyenne de 6 millions d’utilisateurs lissée sur l’année (elle est passée de 6 millions à 10 millions pour le streaming audio sur la période, selon Médiamétrie, dont il faut déduire les abonnés), l’ARPU annuel du streaming audio gratuit a été de l’ordre de 2,15 € en France. Il était de 2,50 € en 2010, selon une étude de l’Hadopi sur le partage de la valeur dans la musique en ligne. L’abonnement est moins lunatique et bien plus rémunérateur. Avec un chiffre d’affaires de 48 millions d’euros en 2014, selon les chiffres du SNEP, pour une moyenne de 1,7 million d’abonnés lissé sur l’année, son rapport est de l’ordre de 28 € par utilisateur et par an pour les producteurs et les artistes. Spotify, avec une moyenne de 50 millions d’utilisateurs lissée sur l’année dans le monde (60 millions fin décembre, contre 36 millions un an plus tôt), pour un chiffre d’affaires annuel de 1,08 millard d’euros, a généré un revenu moyen annuel par utilisateur (abonné ou non) de près de 22 € TTC, soit 14 € par an et par utilisateur pour l’ensemble de l’industrie phonographique dans le monde.

 

 

 

 

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About Philippe Astor

Journaliste, blogueur, franc tireur, libertaire, philosophe, hermétiste, guitariste, activiste, dillettante, libre penseur. @makno et http://rockthemusicbiz.blogspot.fr/