Nouveau format d’écoute et de prescription, la playlist redonne vie aux catalogues

La playlist s’impose peu à peu comme nouveau format d’écoute et de prescription, et contribue à donner une seconde vie à des fonds de catalogue de musique pléthoriques, qui se sont avérés bien plus résistants à la crise du disque que les nouveautés. Les maisons de disques l’ont bien compris, qui disposent parfois de leur propre agrégateur de playlists. Leur objectif : optimiser la monétisation de tous les albums parus depuis des décennies sur les plateformes de streaming.

Des millions de titres qui ne sont écoutés que quelques fois se transforment, pour les détenteurs de fonds de catalogues de musique enregistrée, en millions d’écoutes rétribuées par les plateformes de streaming. De quoi booster le résultat opérationnel des grandes maisons de disques et redonner une nouvelle vitalité à leur back catalogue, qui englobe tous les albums sortis il y a plus de 18 mois, et regorge de pépites réalisées il y a dix, vingt, trente ans ou plus. A l’heure du numérique, ce patrimoine, qui a vu sa protection rallongée de cinquante ans à soixante-dix ans en Europe, vaut de l’or. Et pas seulement grâce aux effets de longue traîne.

Les vieux disques font de la résistance

Entre 2005 et 2015, la baisse des ventes d’albums de back catalogue en volume a été moindre aux Etats-Unis (- 46.6 %) que pour les nouveautés (- 69,5 %), selon Nielsen. A tel point que pour la première fois en 2015, les ventes de oldies ont surpassé celles de nouveautés. Il ne s’est vendu que 50 000 exemplaires du vieux Dark Side of the Moon des Pink Floyd l’an dernier aux Etats-Unis, mais il s’en est écoulé presque autant des albums Abbey Road des Beatles ou Kind of Blue de Miles Davis. Agrégés, et tout formats confondus, ce sont près de 130 millions d’albums de back catalogue qui se sont vendus en 2015 sur le premier marché mondial de la musique, contre un peu moins de 120 millions pour les nouveautés.

back catalogue

Dès 2003, avec le lancement d’iTunes par Apple, le numérique a offert une nouvelle fenêtre d’exposition à des fonds de catalogue de musique enregistrée pléthoriques, qui pouvaient de nouveau être mis à disposition du public et exploités sans investissement supplémentaire ou presque. L’appétence des jeunes générations en quête de “nouveaux sons” pour toutes les musiques, y compris celle des générations antérieures, a favorisé cette montée en puissance du back catalogue, dont certains nouveaux acteurs du marché, à l’instar du suédois X5 Music, ont eu très tôt la pré-science.

Label 100 % numérique créé en 2003, qui édite des compilations thématiques et manie la SEO (Search engine optimization) comme son premier hochet, la compagnie s’est hissée dès 2011 sur le podium des labels ayant vendu le plus de musique classique en téléchargement dans le monde, aux côtés d’Universal Music. X5 Music rachète ou licencie des catalogues de masters pour éditer des compilations qui caracolent en tête du classement des ventes sur Amazon ou iTunes. Avec des titres comme “The 99 Most Essential Classical Music In Movies” ou “Classical Music For Meditation And Yoga”, et grâce à l’achat de mots-clés pour les promouvoir sur les moteurs de recherche, le label est parvenu à toucher un large public, pas forcément très versé dans la musique classique au départ.

Playlisting et SEO

Après un premier deal signé avec le légendaire label américain Sun Records, X5 Music a vendu son modèle de SEO musical aux labels et multiplié les partenariats, avec Alligator Records, Cooking Vinyl, mais aussi des majors du disque, comme EMI ou Universal Music. Son catalogue, de 400 000 masters et 11 000 compilations aujourd’hui, s’est élargi au jazz, au rock, au folk, au blues, à la country, à la pop. Des « Early Years » de Roy Orbisson aux « #1 Hits » d’Elvis Presley, en passant par « The Very Best » de Stan Getz, « 75 Year Anniversary » de Gene Vincent ou « The Complete B » de Billie Hollidays, X5 Music fait son marché dans les “vieilleries” de fond de catalogue. Le modèle de la compilation n’est pas nouveau, “mais la manière dont la compagnie l’a adapté au marché numérique la distingue”, écrit le magazine américain Variety.

Vendues à prix cassés, ce qu’autorise un modèle n’induisant aucun coût de fabrication ou de distribution, les compilations de X5 Music voient souvent leur prix grimper de quelques dollars une fois qu’elles ont atteint la tête des charts. Et ça marche ! Alors qu’elle lui a coûté 150 dollars à produire, la compilation ““The 50 Most Essential Pieces of Classical Music” lui a rapporté 3,4 millions de dollars. Le label suédois a créé une joint-venture avec Universal Music, U5, qui reproduit la même stratégie de vente et de promotion. “En parcourant les charts il y a quelques années, nous nous sommes demandé : mais qui sont ces gens ? Leur modèle est disruptif, aussi nous avons décidé de nous associer avec eux et d’innover plutôt que de les combattre”, confiait au New York Times un cadre de la maison de disques à l’époque.

Warner Music Group est allé encore plus loin qu’Universal Music en début d’année en se portant acquéreur de X5 Music. La plus petite des trois majors avait déjà fait l’acquisition de l’agrégateur de playlists Playlits.net fin 2014 (175 000 playlists thématiques ou par genre à écouter sur les plateformes de streaming). “[L’équipe de X5 Music] a une capacité impressionnante à faire de la prescription sur des genres de musique spécifiques et à créer […] des playlists attrayantes et accessibles”, a déclaré Tim Fraser-Harding, en charge du catalogue chez Warner Music.

Nouveau métier

Universal Music avait déjà lancé son propre agrégateur de playlists Spotify, Digster, à l’été 2011. Début 2016, Sony Music recrutait un directeur de la Stratégie globale de playlisting, un nouveau métier à part entière dans l’industrie musicale. L’objectif, pour les majors de la musique, est d’optimiser la monétisation de leurs fonds de catalogue sur les plateformes de streaming. Une stratégie qui paye. Nouveau format d’écoute, mais également nouveau format de prescription et d’édition phonographique à destination du marché numérique, la playlist redonne vie à tout le patrimoine musical enregistré.

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About Philippe Astor

Journaliste, blogueur, franc tireur, libertaire, philosophe, hermétiste, guitariste, activiste, dillettante, libre penseur. @makno et http://rockthemusicbiz.blogspot.fr/

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