Dossier Intelligence Artificielle : la musique aux portes de la singularité (2/2)

intelligence artificielle

Suite du dossier DBTH, proposé par Philippe Astor, retrouvez aussi  la première partie de notre dossier.

Applications grand public

C’est vers un autre genre d’applications grand public que le Français René-Louis Baron, concepteur du MedalComposer, a décidé d’orienter ses travaux de recherche & développement dans la seconde moitié des années 2000, après que Thomson se soit désengagé d’une première collaboration. En 2009, une première puce musicale compositrice et interactive est commercialisée à l’international, pour être embarquée dans une multitude d’objets : jouets, domotique, téléphonie… « Nous sommes dans un domaine où les applications sont innombrables », confiait-il au journal La Tribune en 2008, lors de la présentation d’un premier prototype, à l’occasion du salon du jouet à Nuremberg.

En 2014, la société Techlody SAS, confondée par René-Louis Baron, mettait sur le marché la première application ludique du MedalComposer, le LodyOne : un instrument de musique intelligent en forme de grosse savonnette, dont les touches multifonction permettent de lancer l’une des 18 rythmiques rock préchargées et de générer un solo de guitare électrique digne des plus grands virtuoses de l’exercice. Un microprocesseur se charge de traduire les pressions sur les touches du LodyOne en notes justes, grâce à des algorithmes spécialement élaborés après analyse du jeu d’un guitariste soliste: recouvrement partiel des notes, utilisation intensive de vibratos et de bends, simulation des notes non attaquées à la main droite ou glissés à la main gauche…

Pour peu que le périphérique de sortie soit doté d’un bon séquenceur MIDI, les échantillons utilisés par le LadyOne offrent un rendu « live » des plus réalistes. « La guitare qui joue les accords est une Fender Telecaster, avec un son d’ampli déjà bien crunch ; celle qui fait la rythmique est une Fender Stratocaster, avec un son d’ampli un peu plus clair ; et la guitare solo est quant à elle une Gibson NightHawk, avec un son d’ampli plus saturé, explique le concepteur de ce nouvel objet musical non identifié, lui-même fin guitariste. Dans tous les cas, l’ampli guitare est un Soldano Hot Rod 100 Plus, avec des réglages différents pour chacune des guitares. » Il faut certes avoir le sens du rythme pour commencer à utiliser le LadyOne ; et quelques bases de théorie musicale, associées à une certaine dextérité dans l’utilisation de l’appareil, pour parvenir à un résultat probant. Les impulsions rythmiques captées par les boutons et les instructions de jeu obtenues par combinaison de touches sont traitées en temps réel, qu’il s’agisse de lancer des gammes ascendantes ou descendantes, d’enchaîner des gimmicks en double croche ou en triolet, et autres gymnastiques guitaristiques.

Musique au kilomètre

Avec la démocratisation des moyens de production numériques et la profusion de contenus vidéo produits par les entreprises et des amateurs de plus en plus « éclairés », l’un des terrains de prédilection de la composition musicale automatisée, aux côtés de la génération de sonneries mobiles personnalisées pour chaque interlocuteur, ou de la conception de réveille-matin capables de jouer une musique différente chaque jour, est celui de l’illustration musicale. C’est le marché que vise la jeune start-up britannique Jukedeck, fondée par des étudiants de l’université de Cambridge, qui vient de réaliser une levée de fond de 2 millions de livres. Son générateur automatique de musique, qui s’appuie lui aussi sur l’intelligence artificielle, permet de composer en quelques clics de souris une musique d’illustration originale pour une vidéo, à partir de simples critères de genre, de tempo ou de durée.

« En 2014, 300 heures de vidéo ont été postées chaque minute sur Youtube par des entreprises, des organisations ou des particuliers. C’est trois fois plus que deux ans auparavant. Et toutes ces vidéos ont besoin de musique », rappelait Ed Rex, PDG et co-fondateur de Jukedeck, lors d’un pitch à l’occasion de la conférence LeWeb à Paris. Mais trouver de la musique pour la bande son d’une vidéo et en libérer les droits, surtout pour une utilisation commerciale ou professionnelle, peut être long et fastidieux ; sans parler du coût du copyright qui peut être rédhibitoire dans bien des cas, puisque il faut payer pour avoir le droit d’utiliser une musique du commerce, une fois obtenu l’autorisation de tous ses ayant droit.

Avec Jukedeck, toutes ces difficultés disparaissent comme par enchantement. Une musique originale et libre de droits pour toute exploitation, fut-elle commerciale, est générée en quelques secondes. Un particulier, ou une entreprise de moins de dix salariés, peuvent ainsi créer et télécharger gratuitement cinq musiques d’illustration chaque mois. Chaque licence supplémentaire est facturée 6,99 €. Il en coûte 21,99 € par licence pour une entreprise de plus de dix salariés. La totalité des droits d’une musique originale composée par Jukedeck peut être acquise pour 199 €.

Singularité 

La musique des ascenseurs, celle des parkings ou des salles de sport, ne sera t-elle bientôt plus composée au kilomètre que par des machines ? Et l’intelligence artificielle, à défaut de se substituer totalement à l’homme dans l’acte de création, redonnera t-elle un nouveau pouvoir aux amateurs : celui, par exemple, de composer, remixer, moduler eux-mêmes la bande son de leur existence en toute circonstance ? A moins qu’elle ne vienne tout simplement augmenter les facultés créatrices de l’homme, s’il sait s’en rendre maître par ce qui le distingue – l’émotion, l’inspiration, l’imagination,  le libre arbitre. Des facultés que, grâce aux méthodes de deep learning, ou d’apprentissage automatique en profondeur, les machines sont déjà capables de singer ; sans être toutefois en mesure de les égaler. En témoignent les résultats encore peu probants – sinon sur le plan de la rime et du rythme – des paroles de rap générées automatiquement par DeepBeat. Ce système d’intelligence artificielle conçu par des chercheurs finlandais s’appuie sur une base de données de 641 000 lignes de paroles en anglais et en finnois, extraites de 12 500 chansons d’une centaine d’artistes de rap établis, qu’il remixe en fonction de critères définis par l’utilisateur.

Interprétation d’un rap généré par DeepBeat qui remixe des textes de rappeurs connus

Avec l’intelligence artificielle, la musique s’aventure aux portes de la singularité technologique. A ce point de basculement hypothétique, dont l’avènement a déjà été imaginé au milieu du siècle dernier par John von Neumann, grand pionnier de l’informatique, l’intelligence artificielle des machines pourrait subitement, grâce aux capacités d’auto-apprentissage qu’elles acquièrent avec le deep learning, se mettre à croître de manière exponentielle et envahir très vite notre quotidien, voire gouverner des pans entiers de notre existence. Au risque, pour l’humanité, de se retrouver un jour esclave de son propre Deux Ex Machina numérique. Si l’ordinateur parvient un jour à être un meilleur compositeur que Mozart, Bach, Brahms et Beethoven réunis, il ne restera plus à l’homme qu’à faire valoir sa propre singularité : celle de sa sensibilité et de son talent d’artiste-interprète.

Retrouvez aussi  la première partie de notre dossier.

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About Philippe Astor

Journaliste, blogueur, franc tireur, libertaire, philosophe, hermétiste, guitariste, activiste, dillettante, libre penseur. @makno et http://rockthemusicbiz.blogspot.fr/

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