Dossier: L’avenir économique du streaming musical? problèmes et solutions (part 5/5)

freemium et streaming musique
 

Alors quel est le problème du freemium aujourd’hui? 

Ainsi nous voyons se dessiner de nouvelles offres  pour la musique numérique du futur qui semble plus ou moins réalisables, et qui sont relativement distinctes pour satisfaire les attentes des différentes parties du marché. Mais — pour revenir au cas Taylor Swift avec lequel nous avons commencé — une question subsiste: où est-ce que l’offre actuelle freemium de Spotify, sans parler de YouTube, peut s’intégrer dans tout ça ?

Le souci avec l’option freemium actuelle de Spotify est qu’elle est sans doute trop bonne ; les deux seules fonctionnalités non accessibles aux utilisateurs gratuits et réservées pour inciter les souscriptions d’abonnements premium à 10 dollars par mois étant l’absence de publicité et la totale compatibilité pour mobiles. Et nous pouvons sans doute supposer que davantage d’utilisateurs grand public sont à l’aise avec les publicités, les auditeurs de radios commerciales y sont en tout cas certainement habitués.

Avec les utilisateurs de Spotify ayant accès à un service tout à la demande sur leur ordinateur, un très bon service d’écoute sur mobile et un accès au catalogue complet de Spotify de plus de vingt millions de titres sur tous leurs appareils, il est très difficile pour les autres concurrents de tenter des choses en termes d’abonnements de milieu de gamme. Que peuvent proposer les services pour justifier de dépenser entre deux et six dollars par mois ?

Mais la configuration actuelle freemium/premium de Spotify fonctionne. Pour Spotify en tout cas.
Et Spotify pourrait soutenir que cela fonctionne aussi pour toute l’industrie. Oui, Spotify freemium est une très bonne offre, d’où l’accroissement rapide du nombre d’abonnements dans la plupart des pays. Et oui, personne ne fait vraiment de profit avec le freemium (les titulaires de droits reçoivent des royalties, mais seulement un dixième de ce qu’ils touchent avec le premium), mais Spotify parvient tout de même à convaincre un quart de ses utilisateurs  non payants à souscrire un abonnement à dix euros mensuels, un taux de vente incitative bien plus élevé que celui de tous ses concurrents.

Daniel EK Spotify DBTH

Donc, le stratégie de Spotify semble fonctionner pour ce qui est d’établir le marché du dix-dollars-par-mois. Mais — et c’est là que le bât blesse — ce faisant, il fait sans doute obstacle aux marchés du six-euros-par-mois et deux-euros-par-mois, qui ont des chances de devenir bien plus importants sur le long terme. Une bonne épine dans le pied de ceux qui essayent d’évoluer dans ce marché intermédiaire.

Bien sur, sachant que les utilisateurs à dix-euros-par-mois sont susceptibles d’être rapidement convaincus, il est assez logique de les faire tous s’inscrire en priorité. Mais à quel moment faudra-t-il alors se recentrer sur le marché intermédiaire ? Car à ce moment-là, il faudra certainement désactiver Spotify premium, sous sa forme actuelle en tout cas.

Depuis le cas Swift, des rumeurs on couru indiquant que les labels essaieront de forcer une réduction de Spotify premium lorsque leur contrats de licences avec le service arriveront à renouvellement. Spotify soutiendra alors qu’ils ont tenté d’établir des limites au freemium avant (par exemple un total d’écoute limité à dix heures, un nombre d’écoutes par titre limité), et que cela a impacté les taux d’inscriptions au freemium et son utilisation dans les pays où les limites ont été posées, ce qui par conséquent a altéré les inscriptions premium.

Ainsi, se mêler de la stratégie actuelle de Spotify ne peut qu’impacter son taux de réussite pour obtenir des abonnés à dix-euros-par-mois. Attendons donc qu’ils aient tous souscrit et tentons ensuite quelque chose de plus spectaculaire sur le freemium pour alimenter les inscriptions sur le marché intermédiaire.

Mais les labels ne voudront peut-être pas attendre, comme les actionnaires de Spotify — et donc ayant tout intérêt à ce que la compagnie ait la plus haute valeur possible — ils ne vont surement pas vouloir s’orienter vers une refonte du freemium.

Spotify streaming royautés

Mais même si les labels et les FSN suivaient finalement le modèle qu’utilise déjà Rdio — l’écoute en freemium et le tout à la demande pour dix dollars — qu’en serait-il des autres sources en ligne de contenu gratuit ? Et même si, via le blocage internet, les labels pouvaient limiter le piratage prolifique à une minorité relativement symbolique, et ensuite, à travers l’envoi proactif de notifications de retrait, tenir les flux gratuits non-officiels éloignés de sites comme SoundCloud, qu’advient-il alors de YouTube ?

Le problème de YouTube est que c’est un service à option de retrait et un canal marketing très important pour les labels. Aucun label ne souhaite se désengager de YouTube (car ils perdraient alors leurs avantages en termes de marketing et la part de revenus publicitaires qu’ils perçoivent) mais devraient tout de même investir du temps et de l’argent pour maintenir le site en ordre pendant que les utilisateurs uploadent leurs contenus. Google exploite ces éléments pour garantir des taux de royalties sans risques et incroyablement avantageux.

Spotify et ses semblables soutiennent qu’en raison de l’existence de YouTube ils peinent à faire souscrire de nouveaux utilisateurs au freemium, sans parler des consommateurs premium, et cette situation ne va faire que s’amplifier tandis les secteurs de la musique et du numérique se recentreront sur les abonnés potentiels du marché intermédiaire.

Idéalement, pour qu’une offre multiple  puisse émerger, YouTube devra aussi retirer des fonctionnalités à des utilisateurs freemium : tout d’abord prendre des mesures contre le blocage de publicités puis sans doute limiter certaines des fonctions de ses playlists. La façon dont cela sera mis en place n’est pas encore claire ; mais il est possible que les labels espèrent que, tandis que YouTube déploie sa propre configuration premium, la filiale de Google sera plus à même de prendre en compte de telles limitations.

Ainsi, il semble certain que maints changements, débat, erreurs et tentatives restent à venir alors que nous entrons dans la seconde moitié de cette grande décennie d’expérimentation numérique pour l’industrie de la musique. Il n’est pas insensé de supposer que ce marché pourra porter ses fruits — avec une projection de viabilité vers 2020 — bien que des compromis soient sans doute nécessaires tout au long du chemin.

 

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About Virginie Berger

Virginie Berger est la fondatrice de DBTH (www.dbth.fr), agence spécialisée en stratégie et business développement notamment international pour les industries créatives (musique, TV, ciné, gastronomie), et les startups creative-tech. Elle est aussi l'auteur du livre sur "Musique et stratégies numériques" publié à l'Irma. Sur twitter: @virberg

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