Suite du SOPA Day et son impact sur l’artiste DIY: Le web est-il l’ennemi d’Internet?

Transgression de mon côté, je me suis permis mercredi de black outer mon site en soutien au mouvement anti-SOPA. Je m’impose un vrai silence sur pas mal de sujets hors musique, afin de pouvoir porter le message sur la musique. Je suis ni pro ni contre plein de choses, plutôt légaliste, convaincue qu’il faut faire évoluer le droit d’auteur tout en protégeant mieux les artistes, convaincue aussi que nous ne sommes pas que des “cultureux”, mais bien plus avancés dans nos réflexions que beaucoup le pensent.

Bref, je cherche une troisième voie voire une quatrième voie car j’ai les fesses entre plein de chaises et je ne me sens représentée par personne. Ni par les pour, ni par les contre, ni par les anti, ni par les pro….Et je pense que personne ne tient vraiment à nous entendre. Il faut donc encore nous imposer. Tout le temps. Je n’existe pas, nous n’existons pas.

C’est pour cela qu’aujourd’hui, j’ai trouvé important que Lucien de Baixo, artiste DIY, explique comment il comprend SOPA et pourquoi cela peut avoir de vraies conséquences sur nous; En dehors de toutes politiques politiciennes, de messages sur “la liberté blabla”. C’est du concret, du réfléchi appliqué à notre problématique. Quand le reste du monde s’interessera véritablement à ce que c’est qu’un artiste DIY et toutes les évolutions ou conséquences actuelles, quand on replacera l’artiste au centre, quand on l’integrera à la chaine de valeur (on parle de la musique et de sa valeur sans l’artiste, youpi), quand on prendra des décisions en les impliquant, on en reparlera….A Lucien de Baixo maintenant de s’exprimer.

Suite à la journée anti-SOPA/PIPA de mercredi, je vais faire une petite transgression aux règles que je m’impose, je ne vais pas parler de musique mais d’Internet et de liberté.

Pourquoi une transgression, parce qu’avec l’expérience, on apprend que pour mener un projet à bien, il faut savoir s’y concentrer au maximum et d’éviter de s’éparpiller. Cela ne veut pas dire, ne pas s’intéresser à ce qui nous entoure, bien au contraire, mais de limiter ses autres activités à la sphère privée.

C’est pour ça qu’en tant qu’artiste et en temps normal, je ne parle ni de politique, ni de social, ni d’économie ou encore de régulation sur Internet, à moins qu’il y ait un impact direct avec le milieu de la musique et surtout celui des artistes DIY. Et si ces 2 lois passaient, cela aurait des effets néfastes sur l’émergence de la scène des artistes DIY, j’en suis sûr.

Mais ce n’est pas mon sujet d’aujourd’hui. Pour cette fois, je laisse cette analyse à d’autres, et je souhaite plutôt me préoccuper d’un problème qui me semble plus profond et structurel: Est-ce que ce genre de législation et le lobbying qui y est associé, ne serait en fait que l’arbre qui cache la forêt? Et si le véritable problème n’était pas le chemin qu’a emprunté Internet ces dernières années dans son développement?

Car depuis la fin des années 2000, il y a une rupture qui s’est opérée dans l’évolution d’Internet, à savoir le développement massif d’applications enrichies sur le web au détriment d’apparition de nouveaux protocoles applicatifs (quand on ne parle pas tout simplement d’abandon de certains protocoles). A quoi est dûe cette rupture? Sûrement à une conjonction de circonstances, comme le fait que le web acquiert la composante sociale qui lui manquait, sa capacité à être multi-plateformes ou encore la lutte contre les réseaux p2p.

Mais au final, la ou les raisons importent peu, c’est l’état actuel qui compte: Ces applications web ont créé comme une surcouche sur le protocole http, dans laquelle les transactions ne sont pas régies par des protocoles mais par des API.

Mais qu’est-ce que ça change? Et pourquoi je trouve ça inquiétant? La différence est fondamentale: Dans un système à protocoles vous devez respecter des règles communes, basées sur des accords normalisés alors que dans un système à API vous devez respecter les règles du servant, en vous engageant dans un contrat de licence.

Nous passons donc d’un système neutre et équilibré entre les parties à un système dans lequel le rapport de force prévaut, comme dans tout contrat.

Si le développement d’Internet continu dans cette direction, à terme il ne sera plus géré que par un système régi par des copyrights, ceux que sont les API. N’est-ce pas plus inquiétant que des lois comme SOPA et PIPA?


A cela deux autres problèmes structurels viennent se rajouter. D’abord la relation client/serveur qu’utilise le protocole http, l’utilisateur du service se retrouve toujours en position de faiblesse comparé à une relation en p2p.

Enfin troisième point négatif qui est une résultante des deux premiers, les services proposés nécessitent un hébergement avec tous les frais annexes tel que des frais de maintenance. Pour qu’un service web soit fiable sur le long terme, il doit donc y avoir une gestion financière. Je pourrais rajouter en quatrième point, l’utilisation excessive des dns en comparaison d’autres protocoles applicatifs.

Le web devient donc un espace dépendant complètement de l’économie. Il se centralise etdevient de facto dirigé par des multinationales: c’est le minitel 2.0 de Benjamin Bayart. Peut-on encore appeler le web un espace de liberté ?
Mais que faudrait t’il faire?

La domination du web sur les autres protocoles applicatifs me parait irréversible, le navigateur web offre un espace unifié pour tous les services et une interpolarité entre lesdifférents systèmes d’exploitation rendant son utilisation simple pour tous les utilisateurs.

C’est donc une réforme du fonctionnement du protocole http vers lequel il faudrait aller. Mais il n’y a que peu de chances qu’elle vienne des entreprises du web, car ce n’est pas dans leur intérêt….

Personnellement, je pense que la solution ne pourra venir que de la communauté open source.Si par exemple la fondation Mozilla souhaite vraiment faire un web ouvert, ils doivent faire évoluer leur navigateur, qu’il ne soit plus limité au simple rôle de client.  Il devrait donc se diriger vers un model de web en p2p. Bien sûr si le navigateur gère le p2p, il faut aussi que le site web le fasse, c’est que pourrait faire la fondation Wikimédia par exemple, qui rendrait son encyclopédie moins dépendante aux donations qu’elle reçoit pour faire tourner ces serveurs.Et cela lui permettrait même d’être potentiellement immortel tant qu’Internet existerait.

Il me semblait opportun de partager mes inquiétudes sur cette réflexion de vieux routard des réseaux et de l’informatique. Et peut-être que je ne suis pas seul à la partager…

Illustration photo: “We want more”

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About Lucien de Baixo

Lucien de Baixo est compositeur et redacteur chef de son blog 100 % musical "The Musical Dairy" (luciendebaixo.com), un espace de liberté qui lui permet de s'exprimer sur le vif en composant des morceaux en quelques heures, au gré de ses humeurs, sans s'enfermer dans un seul et unique style.

5 comments

chapeau bas.
j’aime aussi le passage sur les API.
ce débat est le même dans la création de plugins et logiciels (je pense notamment à Live API)
On n’arrive cependant pas aux mêmes freins à la création. Il n’y a pas encore de freins CAR les éditeurs des dites API sont à fond, créent, assurent et “n’empêchent” pas.

BRAVO pour l’article.

Je ne comprends pas tout. Mais la fin me laisse fortement penser au protocole TOR ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Tor_(r%C3%A9seau) ) ou freenet. Plus globalement, le sujet n’est-il pas la décentralisation du web ? Eparpiller les données un peu partout au lieu de tout stocker dans un data center ?
Des projets apparaissent et parle de décentralisation mais leur accès sont réservé à des personnes aguerris en informatique qui peuvent disposer d’un serveur, ou qui bricole leur linux, je pense à des réseaux tel diaspora.
Le passage concernant les API me semblent étrange, car tu es sous wordpress et ils ont leur codex(équivalent d’une API), mais c’est open source….
A part ça, très intéressant.

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