MySpace, grandeur et décadence

J’ai rejoint MySpace en 2007, des étoiles plein les yeux. MySpace était alors le roi du monde, considéré comme le 11e plus grand pays au monde, juste devant le Mexique (D’après Larry D.Rosen, professeur de Psychologie à l’Université de Californie)

Le site se lançait avec force en Europe, juste après avoir été racheté par NewCorp, le groupe de Rupert Murdoch en Juillet 2005 pour 580 millions de dollars.

En Juillet 2006, il devient le site américain le plus visité et arrive en Août en France. Seulement quelques mois après son rachat, Murdoch annonçait qu’il pourrait revendre la plate forme 6 milliards de dollars. Un analyste de RBC estimait même que MySpace pourrait être valorisé entre 10 et 20 milliards de dollars d’ici à quelques années car le site faisait “la démonstration que le nombre de ses utilisateurs et son usage étaient en croissance inédite“.

A la fin du premier semestre 2007, MySpace avait dépassé les 200 millions d’utilisateurs, avec une progression mensuelle de 8 à 9 millions d’utilisateurs supplémentaires. En France, nous atteignions alors les 3 millions de visiteurs uniques par mois. Présence au Festival de Cannes, partenariats avec les plus gros artistes, organisation de concerts, MySpace en France était partout….

En Juin 2007, j’ai participé à mon premier séminaire européen. Je rencontre mes homologues européens, allemand, anglais, espagnol, hollandais, suédois, japonais, chinois, italiens…MySpace ouvrait des bureaux dans le monde entier. Alors que nous étions une dizaine à nous retrouver en 2007, un an après, au même séminaire, nous étions alors une trentaine..de la Turquie à la Corée, en passant par le Portugal ou la Russie.

En Juillet 2009, MySpace ferme 23 bureaux internationaux sur 28. Dont la France. 600 salariés internationaux sont licenciés.
En Janvier 2011, MySpace annonce licencier 60% de ses effectifs.


Que s’est il passé en 3 ans?



On pourrait facilement accuser l’abominable ergonomie technique, le manque d’écoute de ses utilisateurs, ou la concurrence, féroce avec Facebook dans le monde ou Skyblog en France. Tout cela est vrai, mais n’est en fait qu’une conséquence d’autre chose. Un management incapable de faire face à cette crise de croissance. Non par manque de compétence; Ils étaient plein de compétence. Mais par manque d’expérience…de recul.

Lorsque Rupert Murdoch a racheté MySpace, il a laissé à sa tête les deux fondateurs, Chris De Wolfe et Tom ” ton premier ami” Anderson. Et alors que Larry Page et Sergey Brin, les fondateurs de Google, Pierre Omidyar dEbay ou Mark Zuckerberg de Facebook se sont très vite entourés de conseillers expérimentés, ou se sont même retirés de l’opérationnel, Chris et Tom sont restés seuls et actifs.

Google et Facebook avaient attendu quelques années pour se lancer à l’international et ouvrir un premier bureau à Dublin. Ils ont préféré attendre d’être plus stable, d’avoir un business model éprouvé. Même Twitter, pourtant multi millionnaire en levée de fonds prend son temps…

MySpace a ouvert très vite des bureaux dans le monde entier, sans se soucier des spécificités ou concurrences locales. Ce qui marchait aux Etats Unis devait être répliqué sans état d’âme dans le reste du monde. Or, chaque pays doit faire l’objet d’une approche différente…Par exemple, MySpace, lancé comme Facebook en 2003 aux Etats-Unis, était vu là bas comme une plate-forme communautaire avant d’être un site pour les artistes. La compréhension par pays du site était vraiment différente….

La direction européenne basée à Londres, jeune et américaine, en provenance directe de Los Angeles, sans aucune expérience des marchés locaux, imposait en force ces choix. Si le côté technique très roots n’a que peu évolué, “c’est qu’il plaisait aux Etats-Unis” et il n’était donc pas question de le faire évoluer pour l’Europe…On devait intégrer en France des services qui ne nous semblaient vraiment pas primordiaux, tout en ne pouvant pas faire évoluer le site…

Je me souviens des soirées entières passées par notre chef de produit a tenter d’expliquer à Los Angeles que nous ne pouvions pas faire certaines choses, ou que nous avions besoin d’autres choses....Un exemple bête, la scientologie. Vue comme une religion aux Etats-Unis (liberté de culte), et comme une secte en France..Les formulaires français d’inscription directement traduits des US proposaient un choix de religion. Ce qui déjà ne devait pas être fait…mais en plus, ils proposaient la scientologie comme religion. La Wicca était d’ailleurs aussi proposée comme religion. Et je ne sais toujours pas s’ils ont compris pourquoi nous nous étions battus pour modifier ces formulaires…

A cela rajoutez une peur panique du concurrent Facebook qui a conduit à l’abandon de la musique pendant des mois, le point fort de MySpace, pour se repositionner comme “un réseau social”. Et puis quand ça marche, quand le buzz est là, quand les médias parlent naturellement du site, tout semble facile…On rêve de millions, on part à la conquête de l’étranger, des médias. Oui mais….tout passe, tout lasse, tout casse…il y a un moment où le buzz se retourne…et le vrai boulot, c’est quand c’est moins facile. Les fondamentaux doivent être extrêmement solides…

Murdoch a annoncé récemment qu’il mettait le site en vente en annonçant que les pertes actuelles n’étaient “ni acceptables ni soutenables”. Jeff Jarvis disait récemment que l’histoire de l’échec MySpace devrait être enseigné en école de commerce.

Le site a pourtant ouvert la voie et a permis à des millions d’artistes de pouvoir diffuser leur musique partout dans le monde. Ce qui n’était pas possible avant….

Le MySpace bashing est à la mode, et vu la nouvelle version, on peut le comprendre…mais sans MySpace, on n’aurait pas évolué si vite vers le Direct to Fans, et tous les technos que nous utilisons maintenant pour la musique ne se seraient pas developpées à cette vitesse. Elles sont là car au départ elles se sont developpées pour MySpace et pour les artistes présents sur MySpace.
Et puis soyons francs, rien ne n’a encore remplacé MySpace…Il y a des tas de sites qui existent, des tas de propositions, des tas d’outils, mais rien n’a encore pris la suite…Je donne beaucoup de conférences en province, dans les centres de Ressources des Salles, et les programmateurs disent tous qu’ils utilisent encore MySpace….même si clairement, la dernière version l’a tué. On ne peut plus vraiment l’utiliser. De mon point de vue.

RIP MySpace.

Illustration photo: “We want more”

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About Virginie Berger

Virginie Berger est la fondatrice de DBTH (www.dbth.fr), agence spécialisée en stratégie et business développement notamment international pour les industries créatives (musique, TV, ciné, gastronomie), et les startups creative-tech. Elle est aussi l'auteur du livre sur "Musique et stratégies numériques" publié à l'Irma. Sur twitter: @virberg

12 comments

Explications et analyses intéressantes.
Par contre, j’entends partout que la dernière version de myspace est horrible et inutilisable… Personnellement, je trouve que la customisation est beaucoup plus simple qu’avant sans avoir à rentrer des lignes de code dans des endroits non-prévus pour. On peut facilement avoir un truc qui a un minimum de gueule…
Je ne suis pas un “pro-myspace” mais je préfère cette version…
Voici deux exemples de pages customisées assez facilement:
http://www.myspace.com/afterblowdown
http://www.myspace.com/lepicerieculturelle
(Ce n’est pas de la pub déguisée, juste pour illustrer mes propos)
Bonne journée.

Brice

Merci pour ce commentaire. Moi j’ai effectivement beaucoup de mal avec la dernière version, mais si pour d’autres c’est plus facile, tant mieux alors!

Expliquer un échec après la bataille, toujours plus facile que d’éviter l’echec…

Je crois aussi que le manque de focus – vouloir tout faire à la fois – peut tuer un business. Le manque de localisation, en revanche, je n’y crois pas. Toutes les boîtes Américaines préfèrent un modèle centralisé (Google, Facebook) et ça ne les empêche pas d’être successful.

Explication? Il n’y a absolument aucune volonté d’explication là dedans. Juste expliquer ce que moi j’en ai compris, des années après. La bataille, je l’ai vécu de l’intérieur, et ça, je n’en dirai rien. …
C’est comme la critique. Toujours facile d’avoir un avis quand on est pas dedans…

La localisation n’a pas marché. Et les résultats concrets (filiales déficitaires, aucun intérêt médiatique, leaders locaux jamais détrôné).
Au contraire de FB et Google, qui propose des outils simples et adaptables à tous, MySpace proposait un service qui n’est pas universel. Que ce soit en Amérique du Sud (dont le leader est un brésilien), dans les pays de l’est (leader local), en Inde ou ailleurs, la greffe n’a jamais pris…
Peut être que Facebook et Google laissent aussi plus de liberté à ses filiales, notamment sur l’adaptation par pays. Ce qui n’était pas le cas de MySpace…

Perso, la dernière mouture est techniquement plus facile à mettre en oeuvre… Mais il faut comprendre le fonctionnement des widgets, ce qui ne semble pas, malgré tout aujourd’hui, à la portée de nombreux utilisateurs… Là où de nombreux éditeurs (qui faisaient de l’autopromo sauvage pour des résultats qui, souvent, “piquaient les yeux”…) avaient trouvé une sorte de place dans une sorte d’écosystème…
L’ensemble reste malgré tout assez “lourdingue” en temps de chargement et l’abus de Flash (dans les pubs entre autres) m’amuse beaucoup 😉
J’avoue me poser une question : la connexion avec ReverbNation est un plus intéressant… pour les utilisateurs de RN, mais au final, n’est-ce pas la porte ouverte à une vampirisation de l’intérieur, le loup dans la bergerie…

Je continue à utiliser MySpace, pour sa présence dans les moteurs et certaines vieilles habitudes d’utilisateurs… et je l’ai connecté à RN…

http://www.myspace.com/djelimoussadiawara
http://www.myspace.com/allestones

PS : pour avoir été en charge de la localisation française de certains logiciels connus, travailler sur les contraintes locales d’un marché, même en termes de linguistique, avec nos amis américains est souvent un parcours du combattant. Je me souviens d’une discussion âpre sur le vocabulaire à employer dans un dictionnaire pour enfants… La réponse à ma demande de retirer certains mots “vulgaires” et impropres à la consommation par des petits fut : “ces mots sont-ils employés à la TV ? Oui, alors tu les laisses…” Je vous laisse imaginer le pire de ce que l’on peut dire sur notre petit écran 😉

Sincerely
DJM

Myspace n’est pas mort tout seul. On l’y a aidé.

Il est question dans cet article de la façon dont Myspace a géré l’évolution des choses. Le contexte. L’extension. La technique, un peu. Je ne peux, au passage, m’empêcher de me poser également la question de l’évolution d’utilisation de cette plateforme de la part des internautes.

J’utilise Myspace depuis 2007 et au départ, il me semblait qu’il y avait des échanges entre les groupes que l’on demandait en ami, ou du moins, un peu d’échange. Passée l’excitation d’avoir des pointures dans sa liste (Ypiiiiie, Radiohead est mon ami !!!!), nous découvrîmes la joie de pouvoir “dialoguer” avec les morts et les persos des dessins animés de notre jeunesse (Ypiiiiie ! J’ai calé Jacques Brel et Goldorak dans mon Top Amis !!!). Mais quand même, on tombait sur de petits groupes qu’on appréciait, on s’envoyait des messages, on sentait la personne de chair derrière son écran. Un peu.

Je me souviens même de certains groupes déjà connus qui répondaient en personne aux commentaires. Jusqu’à ce qu’ils aient trop de fans et se retrouvent en incapacité à satisfaire la soif de ces derniers. Restait un dernier mot “Désolé, je ne peux plus répondre à tout le monde. Je pense tout de même à vous, je vous aime”. Qu’importe. Pendant ce temps, les plus petits groupes se soutenaient et s’encourageaient, devenaient un peu plus de vrais amis, sur la planète Internet.

Puis les “spams” ont rapidement surgis. Des publicités qui s’affichaient sur nos murs, pour le dernier album de machin, la dernière vidéo de truc, etc. Des players Youtube intempestifs jouant leur musique avant même que la notre (sur notre propre page) aie fini de charger. De moins en moins de réciprocité. Juste un moyen de se faire de la pub, sans aucune considération pour ceux chez qui elle était faite. Du Spam, pur et dur. Un truc à sens unique : prends mon flyer dans la face et viens à mon prochain concert. Et fais-moi de la pub, toi dont je n’ai même pas pris la peine d’écouter la musique. Ah, et un froid “merci pour l’ajout”, vide de sens, au passage, parfois. De plus en plus rarement.

Désormais Myspace est mort, même si quelques sursauts de vie se font sentir. On reçoit maintenant des mails indiquant les dates de concert de nos “amis” dans notre ville. Un spasme, probablement. Mais Myspace ne s’est pas suicidé tout seul, à mon sens. Les utilisateurs non plus, n’ont pas tous compris le réel intérêt de la plateforme. L’esprit. Ils ont un peu tué Myspace, laissant leur égo déborder sur les pages, ne se souciant que de leur nombril.

Aujourd’hui, Il en reste que Myspace est toujours positionné en haut des moteurs de recherche. Pour ma part, j’ai depuis longtemps cessé de demander des amis. Cessé d’en accepter, également, sauf exceptions. Il n’est plus qu’une vitrine menant à mon site. Une page donnant la direction.

Un vieux panneau sur le passage, qu’un maigre regard à peine nostalgique effleure. Pas la nostalgie de Myspace, mais celle de ce qu’il aurait pu être, de ce qu’il représentait lorsque nous l’avons découvert.

RIP

Eres.

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