C’est quoi, vivre avec un artiste ? Vu par…la femme de l’artiste

Il arrive parfois que le musicien s’accouple en dehors de son domaine de compétence, et qu’il se choisisse une compagne totalement inculte musicalement parlant. Car bien sûr, théoriquement c’est magique de sortir avec un mélomane, et plus d’une est attirée par l’aura magnifique de l’artiste en éclosion, mais ça, c’est avant de s’installer en couple.

Eh oui, la cruelle réalité du quotidien viendra à bout des illusions les plus folles de l’innocente. Qui dit artiste dit libre et anticonformiste ? Soit. Mais pas seulement. Je n’ai rien contre le métissage culturel, mais un couple averti en vaut deux, alors si vous faites partie de ces paires hybrides, gare aux cinq catalyseurs d’embrouilles que voici :

La précaution compulsive

La première chose que le zicos apporte chez les gens, notamment sa copine, c’est son instrument. Car l’inspiration, dit-il, peut survenir à tout moment.  Certes. Mais les garçons normaux trimballent plus des caleçons de rechange et leur brosse à dents, qui soit dit en passant prennent quand même vachement moins de place.

Au début il va faire le mignon à lui jouer des ballades pendant qu’elle cuit les spaghetti, mais vous et moi on sait que ça ne va pas durer longtemps. Au bout d’un moment il commence à coloniser le territoire à l’aide de son fidèle compagnon à cordes/vent/percussion. Quand il a fini de gratouiller, tambouriner, souffler, il l’abandonne en diagonale au milieu du canapé là où sa douce a l’habitude de poser son séant pour regarder le Petit Journal en mangeant des Curly. Dorénavant, il lui met la pression à chaque fois qu’elle le frôle (« fais gaffe, putain ! »), car elle risque à tout moment de le faire tomber, de le rayer, de le briser, ou pire. Il ne veut pas le ranger dans sa housse vu qu’il mate juste un truc sur Youtube et qu’il s’y remet après, touche pas fais gaffe je te dis.

On atteint le stade ultime de l’absurde quand il lui demande d’enfermer le chat dans la chambre le temps que de s’absenter, de peur que le félin neurasthénique qui roupille sur le placard ne fasse ses griffes sur la prunelle de ses yeux. Et entre le chat et lui, malgré ce qu’il croit, il y a débat (déjà, c’est qui le plus doux ?).

Que faire ? Reconsidérer la housse pourrait lui éviter une grosse déconvenue, après tout ça ne prend pas une heure de tirer une fermeture éclair.

La loi du silence

Il est 17h et elle rentre du travail, toute frétillante à l’idée de lui raconter les derniers potins du bureau. Ce qu’elle n’a pas prévu, c’est que là il tient un truc, une rime, un accord, et le temps qu’il trouve quoi en faire, ce serait mieux si elle ne lui parlait pas, ca va le déconcentrer sinon. Elle part donc dans la chambre bouder, mais ça commence à se gâter au moment ou elle entend pour la trois centième fois le même riff, qui l’empêche de se concentrer sur son speach de demain ou sa série télé. Effectivement, de l’extérieur, l’effet martelage sonore pourrait rendre dingue même un narcoleptique, mais il ne l’entend pas de cette oreille, vu qu’il crée son art. Elle surgit dans le salon d’un air que ça va barder.

Que faire ? il évite de lui dire qu’il est bien obligé de finir ça et que c’est pas de sa faute si elle rentre tôt du boulot. Il ne rajoute pas qu’elle au moins, elle a de la chance de pouvoir travailler à l’extérieur, elle pourrait lui faire remarquer que s’il veut échanger et se lever à 7h pour se farcir un boss à la con c’est OK pour elle.

Si elle convulse, il appelle les secours.

C’est le moment d’envisager des plages horaires no music (soir pendant le Petit Journal, nuit), qu’il peut remplacer par « câlins et dialogue », « petit plat mijoté avec amour », ou autre, je vais pas mâcher le travail non plus.

Le syndrome post ado

D’ordinaire, qui dit couple dit cocooning, soirées Trivial entre amis, restaus mignons et apéros feutrés dans petit deux pièces. Soit : les activités auxquelles se livre le commun des mortels pour se distraire. Enfin, en général. Parce que dans le milieu zicos, on a beau friser la trentaine tranquille, quand on dit soirée entre amis, c’est pintes à volonté, kebab sur le pouce, caïpis, vodka red bull, fin de soirée chez un pote, bouteilles de sky du rebeu en bas, hurlements jusqu’à l’aube et on se disperse quand la police tape à la porte.

La fête 72h non-stop c’est l’élément de cohésion, le pacte implicite de solidarité (dans la galère et aussi la gueule de bois). Elle permet de régler les embrouilles de la semaine, quand Martin a oublié de venir faire la balance pour Max, et aussi l’histoire de Julie qui a perdu l’écrou du pied de micro de Jérôme. Une accolade (« je te kiffe trop, tu le sais ça ? »), un vomi, et on n’en parle plus. Mais la copine, elle, n’a pas besoin de cette fusion cathartique car elle ne partage par ces trépidantes aventures. Donc il faut s’attendre à ce qu’elle s’ennuie à un moment, pour cause de panne de vécu commun avec le groupe de potes. Et à ce qu’elle fasse la gueule s’il préfère rester parfaire son alcoolémie plutôt que l’accompagner. Elle ne comprendra pas forcément l’enjeu professionnel de la situation.

Que faire ? A lui d’alterner entre eux et elle s’il ne veut pas rapidement se faire traiter d’ado sur le retour, ou de s’assurer qu’elle boive suffisamment pour que le temps passe vite.

Le budget

Il a décidé d’être artiste et c’est sa force. Il consacre son énergie et son argent à la poursuite de son rêve, et comme la musique, ça prend pas mal de temps, il cumule le RSA et les cachets occasionnels et il alterne avec des petits boulots à mi-temps. Une fois qu’il a acheté le matos du mois, il se paye des clopes et des bières, rapport à la cohésion du groupe, donc.

Jusqu’au jour où sa copine l’invite parce qu’elle a vraiment envie de sortir et qu’il n’a pas le budget pour un restau. Là, son orgueil de mâle en prend un coup, il commence à se demander s’il est à la hauteur, s’il peut assumer une vie de couple, et il flippe. Du coup sa chérie n’ose plus l’inviter de peur qu’il panique et elle se frustre à chaque fois qu’elle aurait envie d’un jap’.

Que faire ? Bonne nouvelle : on n‘est plus en 1780. Elle a des sous, elle l’invite au restau, elle lui dit que c’est l’amour qui compte et que ça lui va comme ça ? Qu’il sourie et qu’il aille manger. Il aura l’occasion de briller le jour où il faudra couper et poser des étagères, remettre un malappris à sa place, retrouver le chat… pas besoin de fric pour être viril, figurez-vous dis donc.  Ou alors, qu’il arrête de boire, pour dégager des fonds.

Lui et les filles

Un truc que sa copine adorait au début c’était venir le voir en concert. Mais depuis qu’elle sort avec lui elle trouve ça vachement moins sympa. Pourquoi ? Premièrement, parce qu’il lui demande de lui apporter l’ampli qu’il a oublié alors qu’elle pensait arriver pour 21h. Du coup elle est obligée de se coltiner la balance, qui n’est pas captivante, et de tenir la jambe à l’ingé son le temps que Chéri retrouve le bon câble dans son sac plastique.

Deuxièmement, il y a toujours au premier rang ou aux premières tables un parterre de filles très enthousiastes qui gloussent à chaque fois qu’il leur accorde un regard, ce qui a le don de l’énerver. Et comme il est tout à fait capable de sortir avec une fan (ça a bien marché pour elle), elle ne le croit pas trop quand il dit qu’il n’avait pas remarqué la bande de copines qui est venue discuter avec lui pendant la pause, et elle est obligée de rôder alentours pour les (le) surveiller, ce qui est pas mal stressant.

Que faire ? Eviter de disparaître de son champ de vision. Ne pas oublier de lui coller deux smacks ostensiblement pour bien montrer aux filles qu’il est déjà pris, s’il veut qu’elle l’aide à remballer et à porter son barda dans le métro quand tout le monde sera parti.

Un dernier détail

Bon. Elle partage son quotidien, elle se farcit ses potes, ses répètes, ses questions existentielles, ses groupies, depuis un an, deux, dix, en lui disant qu’elle l’aime chaque jour un peu plus ? Donc l’amour est plus fort que tout.

Que faire ? Quelque chose pour lui montrer qu’elle a eu raison de choisir un artiste. Quelque chose qu’elle ne va jamais lui demander. Et que lui seul peut réaliser. Quoi ? Cherchez bien. Cogitez. Voilà, ça y est, vous l’avez : lui écrire une chanson. Je connais pas une fille qui n’aimerait pas être une muse.

Illustration photo “We want more”

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About @linoacity

Née en 1982 dans la verdoyante Normandie, je me suis découvert une passion pour l’écriture après que ma grand-mère m’ait offert une centaine de cahiers vierges et autant de stylos. Encouragée par des professeurs enthousiastes (« Très intéressante, ta rédaction. Au fait, tu as vu la psychologue scolaire ? Et maman, qu’est-ce qu’elle en pense ? »), j’ai persévéré jusqu’à obtenir le poste convoité de pigiste souffre douleur dans un mensuel féminin. En parallèle je poursuis ma carrière de futur écrivain célèbre, dans une farandole d'écrits sur la vie aussi pertinents que sagaces.

19 comments

Article intéressant, mais pourquoi aborde-t-il la question uniquement sous l’angle Monsieur est artiste / Madame a un boulot normal. Pourquoi pas l’inverse ?

Parce c’est tout simplement une femme d’artiste qui a écrit…donc il lui est difficile d’écrire pour un homme.
Maintenant si un homme veut écrire sur son quotidien avec une artiste, je publie aussi….

la moumoute à l’intérieur des flycase gibson est nettement plus douce que n’importe quel chat, même angora !
Il faut que ça se sache : il n’y a pas débat !
Ou alors le chat est un “général bye bye”…

Dans la présentation de l’auteur : “après que ma grand-mère m’a offert”, pas “m’ait offert”. Bonne journée !

Coucou Virginie!
Pas de panique, I cause français correct. L’emploi “ait offert” est juste dans ma biographie. (subjonctif inactualisant en subordonnée corrélé à une principale de premier plan actualisante, mais je suis sûre que tu me fais confiance.)

Super article ! Let’s tweet 🙂

Loin de moi l’idée de commencer un débat grammatical sur cet excellent site, mais on utilise l’indicatif après “après que” et pas le subjonctif. La première version était donc correcte. Voir http://www.langue-fr.net/spip.php?article175

Et bien sûr : “Longtemps, longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues….” Charles Trenet.

Bon, je dois avouer que bien que très attachée à la langue française, je n’ai pas les compétences nécessaires pour répondre ;).
Je vais donc faire une totale et immense confiance à @linoacity, l’auteur de l’article 🙂

Bonjour,
Alors terminons ce débat sur l’usage du subjonctif subordonné à “après que”, au risque de paraître rébarbative.
L’emploi d’un subjonctif n’est pas corrélé, comme on le pense et comme l’enseignent certaines grammaires de mauvaise qualité, à des expressions, mais à la valeur accordée à l’action par le locuteur.

Dans l’exemple de Charles Trenet, “les poètes ont disparu”, l’action est dite “actualisante”, soit une action de premier plan, exprimée à l’indicatif, qui permet de renforcer la réalité de cette extinction des poètes dans l’énoncé.

Au contraire, dans la bio, “m’ait offert”est une action dite “inactualisante”, soit de second plan, exprimée par un subjonctif (dont la valeur n’est pas, comme on le pense de façon réductrice, l’irréel car mamie m’a réellement offert des cahiers, la gentille qu’elle est, mais l’inactualité par rapport au reste de l’énoncé “je me suis découvert”).

C’est pourquoi un subjonctif n’apparait qu’en subordonnée, et cohabite avec un usage de l’indicatif sur certaines structures dont “après que”. Il est possible de dire “Après que ma grand-mère m’a offert”, mais ce n’est pas la portée que je souhaite donner à ma phrase.

Si mes explications sont confuses, un excellent ouvrage sur ce sujet a été publié par Gilles Luquet, “regards sur le signifiant”. Ce maître de conférences m’a enseigné la linguistique jusqu’à la fin de mes études littéraires, et j’ai même été interrogée sur ce sujet épineux et qui fait débat aux oraux de l’agrégation.

Quoi qu’il en soit, cela fait plaisir de voir que certains lecteurs se préoccupent de la qualité de notre langue et de ses usages courants, merci pour votre attention critique.

descriptif super ( et je ne suis que maman de l’artiste) naturel , sans fiorité
et l’objetif réalisé , ce n’est pas un exercice de francais , au diable les profs
de critiques , visez les écoles , lycées universites et autres ,
mais pas les biographies
( Arthur Rimbaud serait d’accord with me)
ouf on décompresse ….. que diable

merci à l’auteur …

hahaha je tombe dessus drolement tard, comment ais-je fait pour rater cet article! bon moi je suis dans le cas ou les 2 dans le couple sont artistes donc on arrive toujours a se reconcilier avec le whisky du reubeu et autour d’un vomi, c’est un avantage certain, en revanche quand il faut payer un jap y a plus personne 😀

Article excellent! Tous les détails bien vus! La même mésaventure m’est arrivée.

Salut !

C’est criant de vérité !
Je suis mariée depuis 18 ans avec un “zicos” et je retrouve beaucoup de vécu dans votre récit.
J’ai su à la première écoute de sa musique qu’il allait être un jour un “incontournable” du rock et je le “soutien” depuis toujours dans ses moments de doutes.
Nous avons convenu depuis le départ que je travaillerai pour “faire chauffer la marmite” pendant qu’il “élabore” son énième album en auto-prod mais ce n’est pas toujours évident !
Ses “potes zicos” ne comprennent toujours pas comment nous arrivons à subvenir à notre vie mais je pense qu’ils nous envient un peu….
Notre fille pense qu’il fait trop de musique et pas assez de sport ou de sorties avec elle… mais à côté de cela elle est ravie d’être la fifille à son papa musicien, qui l’amène aux concerts, la présente à des zicos connus et fait des compos pour son maître d’école….
Nous savions que la vie d’ un “troubadour des temps modernes” ne serait pas aisée mais je reste persuadée que son talent sera un jour enfin reconnu par ses pairs (ce qui est déjà un peu le cas puisqu’on lui réclame des compos…)
Bref, merci de m’avoir permis de me sentir “normale” en tant que femme d’artiste et je reste la première “groupie” de mon zicos de mari !
Entre nous, un peu de pub ne fera pas de mal, alors allez donc écouter l’univers tout particulier du rock indus de Tramb de BIZ “Beatinzen”.
Signé : une fan de son mari qui en a marre de voir les potes zicos ne pas savoir passer une soirée sans vider le bar avant de partir pisser dans mes rosiers !!! :-)))))

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