“Etre honnête avec les oeuvres, ça a un prix que les zicos indés sans structure ne peuvent pas se payer”

Il y a quelques mois, un de mes amis, artiste indé de chez indé “do it yourself tout tout seul”, appelons le “Paulo” faisait un petit concert durant lequel il nous a fait écouter quelques unes de ses nouvelles compos. Dont une qui nous a tous vraiment épatés, un mash up d’une des ces compos, avec un artiste français, maintenant décédé, très TRES connu (appelons le Léo), et un artiste américain, très TRES connu (appelons le Prince) (Bien sûr, ce ne sont pas les vrais artistes, je ne vais pas dénoncer Paulo. C’est juste pour vous rendre compte de l’importance des artistes).

Donc Paulo, devant nos mines ébahies par la qualité de son titre, s’est bien rendu compte qu’il tenait quelque chose. Et comme il souhaite sortir un EP dans quelques mois, il commence à se poser la question de comment faire pour sortir ce titre légalement. A savoir, en respectant les droits des artistes utilisés dans son mash up.

On en parle donc tous les deux, et Paulo, qui hésite vraiment sur la procédure à suivre (quid des ayants droits, Sacem, Youtube qui peut bloquer…) me passe une petite liste avec toutes les questions qu’il se pose et les conséquences qui pourraient en découler s’il décide d’y aller en suivant la procédure légale ou s’il se lance en sous-marin…

“Façon légale
les +: si c’est accepté, plus aucun problème. Nickel.
les -: apparemment c’est TRES long pour obtenir les autorisations des éditeurs ET des auteurs ET des ayant-droits.
Deux maisons de disques différentes. Pas sûr d’obtenir l’autorisation. Peuvent aussi demander une contrepartie financière. Même si j’ai l’autorisation, ça pourrait repousser ma sortie de plusieurs mois.

Façon sous-marin:
les +: je sors le titre quoi qu’il arrive
les -: le titre ne pourra pas être sur Deezer, distrib digitale, Itunes & co, alors que son atout principal est de servir de vitrine, attirer les gens à l’écouter pour les amener à découvrir mes autres chansons. Possibilité que Dailymotion et youtube bloquent la vidéo que je vais faire aussi. Le “buzz” que peut susciter ce titre sera moindre voire inexistant…”


Bon. Je dois bien avouer que je n’avais pas une réponse bien claire par rapport à ses questions. Je lui ai donc proposé d’en parler à mon avocat, Me Didier Félix, qui travaille dans tous ces différents domaines. Il a travaillé en maisons de disques, en société de gestion collective, il est l’avocat de labels, d’artistes….donc il connait bien ces problématiques, et des deux côtés, légal comme sous marin.

D’après donc Me Didier Félix, vu les ayants droits, il vaut mieux choisir la manière légale (“non mais quelle idée aussi d’avoir été chercher Léo et Prince!”). Je vous retranscris donc sa réponse ci dessous.

“Compte tenu de la nature des ayants-droit, je pense qu’il n’y a pas d’autre solution que d’utiliser la voie légale.

En pratique, les choses se passent de la manière suivante :

(i) Si le nouveau titre (« Mash up ») est une simple réinterprétation des œuvres d’origine (les enregistrements ne sont pas réutilisés), seul l’accord des auteurs et compositeurs des œuvres d’origine est nécessaire au titre de leur droit moral (car il y juxtaposition de deux œuvres).

En pratique cette autorisation se demande à l’éditeur même si celui-ci n’est pas cessionnaire du droit moral des auteurs et compositeurs : il faut dans ce cas bien s’assurer que ces derniers ont donné leur accord, au besoin par un écrit signé par l’éditeur et les auteurs-compositeurs. Dans le cas Léo c’est la succession qui devra au final donné son accord. Pour l’œuvre américaine, le droit américain ne connaissant pas le droit moral, seul l’accord de l’éditeur sera nécessaire.

(ii) si le nouveau titre (« Mash up ») réutilise les enregistrement originaux (samples), il sera alors nécessaire d’obtenir également les accords des labels des artistes concernés au titre du droit patrimonial (dont les labels sont cessionnaires en vertu de leur contrat d’enregistrement exclusif) et du droit moral de l’artiste (les deux titres s’entremêlant et étant modifiés). Dans le cas du titre de Léo, il faudra bien s’assurer de l’accord de l’artiste ou de ses ayants droits au titre du droit moral car les labels n’en sont pas cessionnaire :un écrit signé par le label et par le représentant de la succession Léo sera donc nécessaire. Pour le titre américain, seule l’autorisation du label sera nécessaire.

Les deux autorisations se monnayent. Concernant les autorisations des éditeurs, c’est en règle générale une somme forfaitaire qui est demandée ainsi que la signature d’un accord de coédition (voire la rétrocession complète des droits éditoriaux sur la nouvelle œuvre à l’éditeur d’origine (ou aux deux éditeurs d’origine).Pour les œuvres de grande notoriété, un pourcentage sur les ventes peut aussi être demandé (entre 2% et 4% du Prix de Gros Hors Taxes).

Concernant les autorisations des labels, la contrepartie de l’autorisation est en règle générale constituée par une somme forfaitaire et/ou un pourcentage (« override ») sur les ventes (entre 2% et 5% du Prix de Gros Hors Taxes).

En termes de délai, c’est surtout sur les titres ou les œuvres internationaux que cela prend du temps car la demande doit être effectuée auprès du licencié (pour l’enregistrement) ou du sous-éditeur (pour l’œuvre) français qui répercute la demande au « repertoire owner »  ou à l’éditeur d’origine…plusieurs mois sont souvent nécessaire.

Voilà. Rien à dire sur l’explication de Didier. C’est clair, limpide. Et c’est effectivement comme cela que ça doit se passer….

Donc, dans le cas de Paulo, faire légalement, ça veut donc dire:

– Obtenir les autorisations des deux éditeurs et de la succession de Léo

– Avoir sa propre structure d’édition pour faire un deal de co-édition avec les deux parties et que les 3 parties arrivent à se mettre d’accord sur le pourcentage de chacun dans ce Mash-up…

Déjà juste ce dernier point, c’est THE mission.

– Puis… il faut aussi un budget pour payer les sommes forfaitaires demandées (somme qui sans être pessimiste ne seront certainement jamais remboursées par les ventes d’un petit artiste indé en dév. comme lui)

– Avoir une structure légale en plus de l’édition pour la partie ventes afin de redistribuer les pourcentages en toute conformité

– Enclencher un pressage et s’acquitter des droits mécaniques SDRM dont une partie lui reviendra en tant qu’auteur compositeur éditeur mais pas dans sa globalité (chose qu’il avait  faite pour les autres CDs mais qu’il voulait éviter pour le prochain car presser en grande quantité était une erreur), etc…

Bref, impossible pour lui à ce stade. Trop lourd. Son association ne suffit pas.

Et je lui laisse la conclusion:

“Aïe, aïe, être honnête avec les oeuvres, ça a un prix que les zicos indés sans structure ne  peuvent pas se payer ! Mais bon… C’est normal hein… mais ça fout les boules quand même… “

PS: Si quelqu’un a un peu plus d’infos sur ces sujets, nous sommes preneurs…..

Illustration photo: “We want more”

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About Virginie Berger

Virginie Berger est la fondatrice de DBTH (www.dbth.fr), agence spécialisée en stratégie et business développement notamment international pour les industries créatives (musique, TV, ciné, gastronomie), et les startups creative-tech. Elle est aussi l'auteur du livre sur "Musique et stratégies numériques" publié à l'Irma. Sur twitter: @virberg

9 comments

On peux envisager de contacter directement, à l’ère 2.0, de contacter directement les artistes ou les ayants-droits en proposant d’etre editer via leur label en dealant une forme de partenaria benefique pour les deux vue que la chanson “circule” ?Une sorte de retour à l’affectif et donc a l’Art? 🙂

Je ne pense pas que le buzz souffrirait d’une sortie illégale.
C’est même peut-être la condition pour faire un buzz.
Get it out, and Get it quick. Ou quelqu’un d’autre pourrait le faire.
Danger Mouse a sans doute fait un plus gros buzz avec son Grey album que s’il était sorti légalement. Et si en plus faudrait reverser tous ses droits, ya pas de raisons.

Suis ok avec Juego.
Que Paulo sorte son titre !
S il n’interesse personne au moins il aura essayé.
Et s’il explose avec ça et qu’on lui demande des comptes :
1- il aura une super com media s’il fait suivre l’histoire de communiqués de presse bien sentis, interpelle les politiques etc (ahah cool, je vois ça d’avance)
2- il sera toujours tant à ce moment là de négocier avec les ayants droits qui ô miracle, viendront à lui tous seuls comme des grands (parce que meme a l heure du 2.0, pardon, mais contacter directement les ayants droit de Prince et Léo… je me marre !
3- entre prendre le RISQUE de se faire supprimer sa video sur Youtube et ne rien faire donc etre SUR qu’elle n’y figure jamais…bon…

A etre trop precauionneux

Grr com parti trop vite. Si possible d’ éditer :
Il sera toujours TEMPS
Et la fin :
A être trop precautionneux on en devient trop frileux et peut passer à côté de sa vie…
Allez vas-y Paulo !!! 🙂 Et tous nos voeux de réussite

Le problème avec le “buzz”, c’est qu’on prend toujours les buzz réussit comme exemple. Ce qui est logique, parce qu’on ne connaît que ceux-là (les buzz ratés connus sont en fait des buzz réussis).

Du coup, dire que cela va marcher parce que le Grey Album ou le Dark Night Of The Soul a bien marché, c’est oublier les milliers d’autres buzz qui échouent lamentablement tous les mois.

Il est clair que si les hébergeurs de contenus ne lui permettent pas de le partager, il n’y a pas de buzz.

Par contre, il est aussi clair qu’un artiste DIY n’a pas les moyens de négocier les deals nécessaires pour sortir officiellement un mash-up de stars.

Bref, les mash-up, sauf sur commande, c’est la merde

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