Lettre ouverte aux maisons de disques même si elles n’ont rien demandé…

Il y a presque 10 ans, je passais un entretien avec le Directeur Général d’une maison de disques pour un poste de responsable marketing interactif (oui, à l’époque le marketing était interactif). Lorsque nous avons abordé le sujet Napster, toute jeune et naïve que j’étais, je lui dis qu’il fallait utiliser Napster comme outil de promotion, et que grâce à cet outil, les artistes pourraient beaucoup plus facilement rencontrer, toucher leurs fans…Que n’ai-je  dit !!! Je n’étais pas loin du « Vade retro satanas !» Outre le fait que j’avais complètement planté mon entretien, mon interlocuteur m’a expliqué que « le public on s’en fout », que « seule la défense des droits compte » et que « le CD est et restera le seul et unique format de musique…. » Et puis c’est tout.

10 ans plus tard, rien n’a changé….Lorsque je discute avec ces mêmes interlocuteurs (oui, les personnes qui nous avaient dit avoir tué le piratage en fermant Napster il y a 10 ans sont toujours en place), nous avons toujours les mêmes discussions …Entre le « je ne vois pas quelles erreurs nous avons bien pu faire depuis 10 ans » à « Tu sais Virginie, le marketing online pour la musique ne sert à rien » (ces deux citations, véridiques sont l’œuvre d’un DG de major en 2009), l’après Napster  n’a toujours pas eu lieu….

Je ne veux pas faire ma vétérante, mais cela fait maintenant un bout de temps que je traîne dans la musique. En 1997, je finissais mes études aux Etats Unis et je découvrais MP3.com. En 2000, j’étais sur Napster. J’ai ensuite travaillé dans des groupes de télé, de radio, sur le web avec un poste toujours en relation avec la musique et les maisons de disques. Depuis 10 ans, j’assiste, voire même je participe aux différentes tentatives de « sauvetage » de la musique, comme le  Napster to Go, les plates formes lancées par les majors multi sécurisées, non interopérables avec des catalogues non commun, les deals 360, le Comes with Music, le Starbucks Music, MySpace, Spotify….

Mais aucune de ces tentatives n’a été le futur de la musique. Et Spotify ne le sera pas plus que les autres. Je me souviens en avoir discuté l’été dernier avec un patron de la stratégie d’une maison de disque. Il me disait vouloir travailler en exclu avec Spotify car c’était vraiment « l’avenir de la musique ». « Ah oui, lui ai-je répondu, pour toi l’avenir c’est une écoute gratuite basée sur du revenu pub ? »…

La seule chose dont on peut être certain, c’est que Spotify n’est en aucun cas le futur de la musique. Peut-être parce qu’il n’y a pas de futur dans la musique. En tout cas, il n’y a pas de futur pour l’industrie de la musique actuelle. Pas telle qu’elle évolue actuellement…Et puis, c’est quoi l’industrie de la musique ? Des centaines d’acteurs fragmentés par secteur, par fonction ou par genre…

Qu’est ce qui a tué l’industrie musicale ? L’arrogance. L’arrogance d’être certain que rien ne changera, que ça ne sert à rien de chercher à anticiper le mouvement. L’arrogance de croire que tout se réglera à coup de procès ou de lois. L’arrogance de croire qu’on a pas besoin de chercher à comprendre ou changer..

Mes amis des maisons de disques, il faut comprendre dès maintenant que nous ne sommes plus dans un business de ventes de CD, mais dans un business de création de valeur autour de la musique. Une fois que vous aurez compris ce changement, je vous assure que le reste suivra beaucoup plus facilement…

Vous avez dépensé des millions de $$ en stratégies inadaptées et mal conduites, en lobbying, en pratiques complètement dépassées. Sans compter le temps perdu. Il serait temps que vous vous intéressiez et intégriez vraiment ce qui arrive. Ce n’est plus comment ça devait être, ni comme vous voulez que ça soit, ni comme cela devrait être…C’est juste que c’est comme ça. S’adapter ou mourir.



Permettez-moi donc de vous faire part de quelques petites réflexions qui me trottent dans la tête depuis fort longtemps. Loin de moi l’idée de vous donner des leçons. Ce n’est ni mon rôle, ni mon job. Il s’agit simplement de réflexions, mûrement constatées par quelqu’un de complètement dépitée par le tour que prennent les choses.

Connaissez votre environnement : Je suis extrêmement étonnée par la place donnée au digital dans les maisons de disques. On a les chefs de projets et les chefs de projets digitaux. La promo et la promo web, les ventes et les ventes digitales. Comme si le digital était un support mineur, qui nécessite d’être traité différemment et surtout d’être éloigné de tout autre contact avec les équipes….C’est étonnant. Le digital est un composant du mix marketing, et un moyen de distribution. Il doit donc être intégré, de la réflexion stratégique à l’opérationnel. Il n’y a pas de chefs de projets tv ou de chef de projet radio, alors pourquoi des chefs de projets  digitaux ?  Le digital est par nature transversal, un support de la création aux ventes. Il starte une promo, soutient les ventes. Alors intégrez-le, pour de vrai….

Préparez vos équipes : Le NY Times a demandé récemment à ses équipes de se mettre sérieusement au digital ou de partir…Faites la même chose. Comment pouvez réellement comprendre et assimiler le marché si vous ne le comprenez pas, si vous ne cherchez pas à l’anticiper, à intégrer théories et cases studies. Quand je parle CwF et RtB, de segmentation des fans, de freemium, d’accès à la musique, de datamining, on me regarde très bizarrement. C’est-à-dire que ces différents concepts, qui sont connus, reconnus et testés, fondateurs du music marketing moderne sont inconnus par les premiers qui sont sensés les appliquer. La plupart du temps, on me parle de playlist nrj et de passage au Grand Journal. Voilà la stratégie marketing en maisons de disque…Sans aucune réflexion stratégique en amont…

Alors c’est vrai que l’exemple doit venir d’en haut..Et quand le haut se vante de ne rien comprendre au digital, de ne pas l’utiliser, crache sur Facebook ou Twitter (image bien entendu) et que « que toute façon on en a pas besoin  et que c’est inutile»,  c’est quand même très problématique (exemples entendus maintes en fois encore la semaine dernière…).

Assumez ce que vous êtes : Des marchands de tapis. Vous vendez de la musique, vous gagnez de l’argent sur la musique, vous êtes donc des marchands de tapis. Et ce n’est pas péjoratif, c’est juste la réalité. C’est du commercial. On fixe un prix à un produit et on le vend. Je ne rentrerai pas dans la sphère artistique, ça a un côté un peu magique, artisanal…mais ensuite, quand vous décidez de vendre un artiste, vendez le vraiment, en mettez toutes les chances de votre côté. Ce n’est parce qu’on est dans la musique, qu’on est cool, qu’on porte des baskets et qu’on se fait la bise que le business n’est pas  sérieux…

Par exemple, travaillez vraiment votre marketing comme du marketing, et non comme de la promo. Travaillez le marketing comme on le pratique chez Microsoft, Apple ou Unilever.

Le marketing ce n’est pas sale, ce n’est pas mauvais, il ne s’insère pas dans l’artistique mais il vous aide à le vendre. C’est un peu le but non ?

En résumé,

–          Définissez vos consommateurs par produit

–          Etablissez vos objectifs : qu’est ce que vous voulez faire ?

–          Définissez votre offre pour atteindre ces objectifs : créer des produits qui vous permettent d’atteindre ces objectifs

–          Créez les sites web, contenus, landing pages, etc… : objectif : intégrer les fans dans le cycle de ventes

–          Collectez vos données

–          Mesurez vos performances : d’où vient le consommateur, quels produits achètent ils, etc..

–          Optimisez votre campagne

–          Répéter, améliorer, expérimenter

 

Investissez dans la R et D : Concentrez-vous sur la technologie, la mobilité, les nouveaux modèles publicitaires et les analytics.

Donc développez des API, intégrez Facebook connect, Google connect, la syndication de contenus aux sites artistes.

Ne suivez pas EMI, décentralisez la distribution via des players embed (60% du traffic de Youtube). Utilisez le player SoundCloud qui vous permet d’avoir accès à des analytics de grande qualité. Permettez à vos consommateurs de faire votre marketing.

Pensez RSS, Feeds, XML, API et pas MTV.

Les datas sont le « new gold » : Comprenez que vous pouvez faire de l’argent autour de la musique, pas forcément que sur la musique. Réfléchissez à des business models basé sur le dataming, les nouvelles générations de pub, le branded content personnalisé, le targeting comportemental

Comprenez que le futur de la musique c’est la mobilité, la découverte et le social et c’est tout :Licencier donc l’accès la musique au lieu de simplement vendre des copies: Inventez de nouveaux systèmes de revenus impliquant des ISP, des opérateurs télécoms, des opérateurs mobiles, des moteurs de recherche. Partagez les revenus

Déployez des applications mobiles partout (Iphone, Android, Symbian, Windows). Que ce soit pour des remixes, des mash-ups des playlist, des applications musiques pour les réseaux sociaux, des radios digitales…

Pensez encore une fois en terme d’accès à la musique et de freemium. Le streaming gratuit ok, mais le taux de conversion au payant doit au moins être à 2 chiffres. Comment ? En proposant pour les versions payantes des versions haute def, des concerts, des webcasts, des produits spéciaux (D2F), des compilations digitales

Intégrez les concepts de mise en avant de nouveaux talents. Intégrez les blogueurs, lancez des radios thématiques « Connectez et développez ». Regardez ce que fait Bandcamp, ils commencent à prendre le lead dans ce domaine.

Pour la plupart des gens, les maisons de disques sont le mal, représentées par Pascal Nègre, Obispo, la starac  ou Zazie. Les pirates ont donc l’impression de faire œuvre de bien public, en piratant une industrie qui n’hésitent pas à afficher un salaire à 6 chiffres par mois (Nègre/Universal), à balancer de la musique jetable (Starac et autres) ou a comparer les pirates à des collabos (Lameignère/Sony). Les considérations artistiques ne rentrent pas en ligne de compte. Pour la plupart, « on pirate une industrie qui en a bien profité pendant des années », ou qui « se fait du fric sur les dos des consommateurs ». Bref, pour le grand public, tout est de votre faute.

Donc arrêtez de faire enrager vos potentiels acheteurs mais engagez les. Maintenant ! Engagez la conversation, créez un blog, soyez transparent. Transparence = confiance. Pour les utilisateurs comme pour les artistes.

Comprenez bien que votre plus gros problème, ce n’est pas le piratage mais l’obscurité. L’engagement crée l’attention qui crée la monétisation

A côté de l’engagement, la clé du succès est la différenciation. . Nous avons maintenant les outils qui nous permettent de créer des business models customisés pour chaque artiste label, public, services…Le business model unique n’existe plus. Alors pourquoi ne le faites-vous pas ?

La technologie n’est pas magique, elle ne va pas résoudre un problème business. Pensez l’environnement digital comme un lego

Rentrez en concurrence avec le gratuit, justement parce que ce que vous offrez n’est pas gratuit. Pour la plupart des gens, copier un CD, c’est gratuit, charger sur une clé USB, c’est gratuit, mais la connexion avec l’artiste, l’expérience créée autour de la musique, les valeurs ajoutées comme les vidéos, films, jeux, chats, livres, concerts et merchandising, en bref  le contexte (!!!) – tout cela n’est pas gratuit.

Il faut cesser avec cette obsession de vouloir faire de l’argent avec chaque copie, au lieu de fournir un accès global à la musique, un contexte qui donnera envie d’acheter.

Adaptez-vous : Résistez donc à la tentation de demander des MG monstrueuses et inadaptées, de refuser les accès aux catalogues sans aucune raison (à part celle du contrôle unique du marché), de poursuivre vos consommateurs, d’être inflexible sur les prix, de refuser tout standard technologique, d’être complètement obscur sur vos politiques de licences, de détruire la protection à la vie privée…Car plus personne ne vous suivra. A moins que cela ne soit votre stratégie.

Résistez également à la tentation des formats protégés. Si il y a quelques années vous n’aviez pas imposé les DRM, vous n’auriez pas créé tout seul le monstre Itunes.  Alors autorisez les systèmes open.

Et laisser la place à des talents qui viennent de l’extérieur….Hotmail a changé les emails, des étudiants de stanford ont lancé Google, ou Facebook…L’innovation vient souvent de l’extérieur..

Bref, n’attendez pas qu’on vous sauve, mais prenez vous en mains.

Scott Fitzgerald disait : “The test of a first-rate intelligence is the ability to hold two opposed ideas in the mind at the same time, and still retain the ability to function”. Dont acte

Lettre ouverte librement inspirée des travaux de Gerd Leonhard, avec son autorisation

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About Virginie Berger

Virginie Berger est la fondatrice de DBTH (www.dbth.fr), agence spécialisée en stratégie et business développement notamment international pour les industries créatives (musique, TV, ciné, gastronomie), et les startups creative-tech. Elle est aussi l'auteur du livre sur "Musique et stratégies numériques" publié à l'Irma. Sur twitter: @virberg

4 comments

???
!!!

OK, je n’ai pas suivi TOUS les rebondissements de la guerre entre pirates (dont les portes-paroles ont parfois, derrière une sorte de dignité type “désobéissance citoyenne”, des relents de mentalités “gratuit, c’est mon prix, sauf en ce qui concerne mon salaire”) et les HADOPISTEs forcenés (lobbyistes éhontés très bien décrits dans l’article, à coup de Pascal Nègre indigné “C’est l’artiste qu’on assassine !!!!” pathétique, venant de comprendre que pour étriller l’artiste en question, puisqu’on vendait moins ses disques, il fallait se mettre à le ponctionner sur ses concerts.) Non, ça aurait été un boulot à plein temps.

Néanmoins, de ce que j’ai lu, de mes interactions avec les gens intéressés (passionnés ?) par le sujet, jamais je n’avais rencontré quelqu’un – issu de l’industrie du disque par dessus le marché, ce qui laisse rêveur et démontre une fois encore la véracité du principe de Peter, ayant amené les dirigeants actuels des majors à leur niveau d’incompétence maximal – posant de manière aussi saine les bases de l’adaptation à l’environnement moderne auquel doit se livrer l’industrie musicale.

Elle qui n’a œuvré ces temps-ci qu’à opposer les artistes (parfois extrêmement désinformés) et leur fans, marketant comme une forcené mais sans avoir l’air d’y toucher (et en mode old school, comme cet article s’emploie à juste titre à le démontrer), il serait temps en effet qu’elle montre au public qui l’a payé jusqu’ici la valeur ajouté qu’elle a créé pour justifier de rouler ainsi en Ferrari.

Pascal Nègre (toujours lui, décidément) s’est enflammé dans des déclarations du style “entre gratuit et à 1€, les gens choisirons toujours le gratuit”, ignorant combien de personnes (surtout celles disposant d’un pouvoir d’achat supérieur à celui du lycéen moyen, qui l’utilise de toute manière de façon bien plus diluée qu’antan, dans la téléphonie mobile par exemple) sont prêt à payer un prix qu’elle estime “juste” vis-à-vis du service fourni (et donc de son coût… Le morceau à l’unité plus cher que sur CD, sans payer de gravage, de pochette, de transport, plus la marge de fonctionnement des disquaires avec leur loyers et salaires, c’est très dur à faire avaler au public) plutôt que de chercher des semaines l’album qu’ils désirent.

Mais le vrai combat est bien entendu de faire de l’argent autour de la musique, de manière transparente. Un sportif court-il après ceux qui regardent gratuitement ses exploits sur Youtube ? Ou trouve-t-il bien d’autres moyens de se rémunérer ? Google n’est-il pas une des plus grosses capitalisations du Nasdaq (dans les 150 milliards de dollars au moment où j’écris ces lignes) en proposant un service gratuit ? De quoi vivent (grassement) les fournisseurs de webmails sinon de datamining ? Pour oser un parallèle un peu plus sujet à caution, les opérateurs mobiles donnent quasiment les téléphones, pourvu qu’ils puissent vendre des services derrière. C’est plus éloigné, mais c’est le concept global de service secondaire. Seules les majors ne l’ont pas compris…

Actuellement, avec leur image désastreuse, ces dernières doivent répondre à une question : qu’est-ce qui justifie qu’on leur fasse gagner de l’argent alors que les home studios permettent des enregistrements plus complexes et de meilleurs qualité (pour peu qu’on maîtrise un minimum son sujet) que les studios pros des années 70 – voire 80, que les logiciels permettent, sinon un mastering pro, au moins un mixage et un prémastering de niveau honorable (avec une oreille exercée), que les moyens de diffusion sont accessibles à tous, que la promotion à petite échelle peut se faire via les réseaux sociaux et autres myspace, voire avec les webradios, et qu’il existe des success story ayant propulsé des créateurs devant les médias nationaux grâce à des vidéo virale sur youtube ?

Je pense que ces raisons existent, car ce qui n’a pas changé, c’est qu’il y a dans tous les domaines de grandes différences entre les amateurs et les professionnels, et que le développement et la promotion de la musique ne fait pas exception à la règle (d’ailleurs, en soi, le marketing est déjà une compétence assez complète). Mais il va falloir qu’elles se montrent très convaincantes.

Et peut-être même qu’elle se montrent compétentes tout court, en remplaçant les dinosaures “non comprenants” qui la constitue par des gens un peu plus intelligents ?

En tout cas, bravo pour cette lettre ouverte.

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