Sauver la musique? De la nécessité d’une réforme complète du domaine public

Michel DONVAL, Titulaire d’un master II recherche au Centre d’Etude International de la Propriété Intellectuelle et juriste en propriété intellectuelle au Cabinet d’avocats Franco-Bresilien M&T Advogados a voulu se pencher sur le fameux “domaine public”. Et penser à sa réforme. Ce qui, d’après lui, pourrait être une vraie solution pour la musique.

« Rien ne serait plus utile, en effet, qu’une sorte de fonds commun, un capital considérable, des revenus solides, appliqués aux besoins de la littérature en continuelle voie de formation. Il y a beaucoup de jeunes écrivains, de jeunes esprits, de jeunes auteurs, qui sont plein de talent et d’avenir, et qui rencontrent, au début d’immenses difficultés.  Quelques-uns ne percent pas, l’appui leur a manqué, le pain leur a manqué. Les gouvernements, je l’ai expliqué dans mes premières paroles publiques, ont créé le système des pensions, système stérile pour les écrivains. Mais supposez que la littérature française, par sa propre force, par ce décime prélevé sur l’immense produit du domaine public, possède un vaste fonds littéraire, administré par un syndicat d’écrivains, par cette société des gens de lettres qui représente le grand mouvement intellectuel de l’époque ; supposez que votre comité ait cette très grande fonction d’administrer ce que j’appellerai la liste civile de la littérature. Connaissez-vous rien de plus beau que ceci : toutes les œuvres qui n’ont plus d’héritiers directs tombent dans le domaine public payant, et le produit sert à encourager, à vivifier, à féconder les jeunes esprits !

Y aurait- il rien de plus grand que ce secours admirable, que cet auguste héritage, légué par les illustres écrivains morts aux jeunes écrivains vivants ?

Est ce que vous ne croyez pas qu’au lieu de recevoir tristement, petitement, une espèce d’aumône royale, le jeune écrivain entrant dans la carrière ne se sentirait pas grandi en se voyant soutenu dans son œuvre par ces tout-puissants génies, Corneille et Molière ?

C’est là Votre indépendance, votre fortune. L’émancipation, la mise en liberté des écrivains, elle est dans la création de ce glorieux patrimoine. Nous sommes tous une famille, les morts appartiennent aux vivants, les vivants doivent être protégés par les morts. Quelle plus belle protection pourriez-vous souhaiter ?

Je vous demande avec instance de créer le domaine public payant dans les conditions que j’ai indiquées. Il n’y a aucun motif pour retarder d’une heure la prise de possession de l’esprit humain »

C’est en ces mots que Victor Hugo, présidant le congrès littéraire international, s’est exprimé le 25 juin 1878.

Bien que ce discours ait obtenu des salves d’applaudissements, l’idée de domaine public payant n’a pourtant jamais vu le jour.  Et pourtant, au regard des critiques soulevées par l’établissement de diverses taxes (Google, FAI), le fait pour la culture de se satisfaire à elle-même en terme financier, n’est il pas l’ultime solution, notamment, pour sauver l’industrie musicale en crise (et permettre l’instauration du presque mort né Centre National de la Musique).

En France, la notion de domaine public est une chimère. Même si la notion semble susciter passion et déchirement en tout genre, elle n’existe pas. En effet, on considère, en droit de la propriété littéraire et artistique, qu’une œuvre « tombe » dans le domaine public 70 ans après la mort de l’auteur, et pour les enregistrements et interprétations 50 ans après la première fixation ou commercialisation (70 ans dans quelques mois). En réalité, il ne s’agit que d’une extinction des droits patrimoniaux, perdure ad vitam æternam les droits moraux de l’auteur et/ou de l’artiste interprète. Dès lors, on considère que l’œuvre « tombée » dans le domaine public est libre d’utilisation dans la mesure où aucune autorisation des héritiers de l’auteur n’est nécessaire pour, à la fois, la reproduire ou la diffuser, ou, encore pour la réinterpréter ou la remixer … Et surtout, aucune redevance n’est à payer.

Mais pour le consommateur final, le domaine public il voit vaguement la notion mais finalement entre un CD (ou MP3 soyons moderne) sur lequel est reproduite l’œuvre de Bach ou de Messiaen, il ne voit pas trop la différance au niveau prix. Alors la gratuité du domaine public on doit se dire que c’est encore un principe super chouette mais que au final comme d’habitude on paye.

Et c’est là toute la difficulté ! Aucun cadre juridique, ni même au final éthique, ne vient définir le domaine public. Certes, le producteur de musique classique (et distributeur) nous rétorquera que, grâce à la gratuité du domaine public il aura pu concentrer son budget sur la qualité sonore (ce qui est vrai, notamment, pour le travail effectué par Deutsch Grammophon sur le CD ; mais beaucoup moins à une époque où la compression est la règle et la qualité l’exception  …)

Attention je tiens à prévenir mes premiers détracteurs, et de peur que leur lecture s’arrête ici, qu’il ne s’agit, aucunement, d’une remise en question de la libre utilisation du domaine public ; mais plutôt de réparer une injustice.

Certes, vous pouvez y voir une dernière provocation d’une industrie à laquelle je n’appartiens pas, une atteinte à la liberté d’utilisation du domaine public. Liberté dite vous ? Moi je n’y vois que spoliation. Car en refusant à la fois de définir le domaine public et de limiter son utilisation on permet, encore une fois, à une infime partie d’entrepreneurs de s’enrichir sur le dos des créateurs, et sans que le public, l’amateur ou l’auditeur, n’en profite réellement. Je réitère le mot : spoliation !

Il est là le problème du droit d’auteur. Construit traditionnellement sur vision personnaliste (d’où droit d’auteur et non droit de l’œuvre), le Parlement ou encore les juristes, se sont refusés à reconnaître l’intérêt du public dans le création (la loi le sous-entend, sans pour autant le reconnaître franchement). Considérant que la reconnaissance d’une propriété à l’auteur servirait les arts, et donc au final la société, le législateur n’a pas vu la nécessité de reconnaître l’intérêt supérieur de la Nation dans la création.

A l’inverse, les Etats Unis, à qui on a reproché si souvent de négliger l’auteur dans leur législation au moyen du copyright et de garantir les droits des industries du divertissement, ont toutefois su inscrire dans leur Constitution « Le Congrès aura le pouvoir […] de promouvoir le progrès de la science et des arts utiles, en assurant pour un temps limité, aux auteurs et inventeurs, un droit exclusif sur leurs écrits et découvertes respectifs. »

L’intérêt social est garanti à deux titres : par la protection qui favorise la création, et par un temps limité qui favorise leur diffusion. Certes, le temps n’a pas fini de se rallonger pour garantir des monopoles, ce que je déplore, mais, à l’inverse de la France, ce texte à le mérite d’exister.

Toutefois, en France, le droit d’auteur garantit, d’où son nom, l’auteur et ses héritiers. Force est de constater que l’intérêt social n’est pas au cœur de cette protection. Et je le déplore une nouvelle fois, dans la mesure où c’est l’accès à l’art (ou aux arts) qu’il faut garantir. Une véritable reconnaissance du domaine public pour la société s’impose donc.

Quels seraient donc les critères à adopter pour ce domaine public payant ?

I Le paiement d’une redevance d’utilisation commercial

Comme toute utilisation ou occupation du domaine public (entendre ici la propriété de la personne publique), toutes les utilisations commerciales de l’œuvre ou de l’interprétation devraient donner lieu au paiement d’une redevance (avec idéalement un minimum garanti et pourcentage sur les ventes).

Certes l’on pourra rétorquer que la limitation temporelle du monopole de l’auteur serait justifiée par la nécessité, à partir d’un instant T, de faire jouer la concurrence. Ce qui aurait une incidence certaine sur le prix d’achat de l’œuvre et, donc, sur sa diffusion.

Néanmoins, comme le relève assez justement Stéphanie Carre : « contrairement à ce que l’on affirme fréquemment, la libre concurrence n’implique pas nécessairement une baisse du prix de l’ouvrage dont la reproduction était auparavant soumise à un monopole exclusif. La disparition du monopole d’exploitation, et la libre concurrence qui s’ensuit, ne rendent pas nécessairement moins coûteux l’accès à l’œuvre ou l’acquisition d’un exemplaire de celle-ci. En effet, l’exploitant, titulaire exclusif des droits d’exploitation, peut se permettre par une production importante, étant « maître » du marché, de concéder le bien à bas prix. Le prix des œuvres dépend, par ailleurs, d’autres facteurs que la concurrence : la renommée de l’auteur, la qualité de l’exemplaire ou l’état du marché doivent être prise en compte. La disparition du monopole n’implique pas systématiquement un coût moindre. Si la « chute » dans le domaine public de l’œuvre est susceptible de permettre la satisfaction de l’intérêt économique du public, elle ne le satisfait pas nécessairement. » (S. Carre, l’intérêt du public en droit d’auteur, thèse Montpelier, 2004, p. 470)

Fort de ce constat, il n’apparaît pas utile, au regard du marché de conserver une gratuité totale, de la diffusion des œuvres du domaine public.

Cependant, à l’heure de la liberté des échanges en ligne, il ne s’agit pas de brider une nouvelle fois ces échanges ; mais de faire en sorte que cette gratuité de l’œuvre soit en faveur du bien commun, pour favoriser sa diffusion et non pour enrichir quelques entrepreneurs.

Aussi, le paiement de cette redevance serait limité à l’utilisation commerciale.

Par utilisation commerciale il faut entendre :

–       utilisation pour la publicité ;

–       commercialisation de l’œuvre ou interprétation sur support ou dématérialisé ;

–       écoute en ligne sur un site financé par la publicité ;

–       utilisation dans le cadre d’une activité commerciale de sonorisation ;

–       utilisation en radio et télévision.

II La liberté d’utilisation de ce fond commun

Il ne s’agit pas ici de remettre en cause la liberté d’utilisation du domaine public mais bien de garantir cette utilisation et sa découverte. Ceci doit être garanti par la loi et le dépôt obligatoire favorise sa conservation et sa découverte.

Le dépôt légal auprès de la Bibliothèque nationale de France est une obligation en France pour tout document mis à disposition du public.

« Le dépôt légal est conçu comme la mémoire du patrimoine culturel diffusé sur le territoire national et englobe donc des œuvres étrangères éditées, produites ou diffusées en France. Institué en 1537 par François Ier, il permet la collecte, la conservation et la consultation de documents de toute nature, afin de constituer une collection de référence, élément essentiel de la mémoire collective du pays. » (source : http://www.bnf.fr/fr/professionnels/depot_legal_definition/s.depot_legal_mission.html)

Rendre obligatoire ce dépôt pour l’accès à la protection permettrait de remettre en cause la conception purement personnaliste du droit d’auteur et d’instaurer comme principe une véritable protection pour le bien commun.

La libre utilisation et transformation du domaine public doivent également être garantis. Et cela passe par une réforme du droit moral de l’auteur décédé. La perpétuité du droit au respect, notamment, ne doit pas être un obstacle à la libre réutilisation de l’œuvre du domaine public.

Lors d’un entretien que m’avait accordé il y’a quelques années Peter Szendy, celui ci m’avait expliqué que, dans la mesure où la vie ne peut se concevoir sans une mort certaine, l’éternité (exposé ici par le concept de perpétuité du droit moral) procède d’une utopie qui dessert l’œuvre. En effet, la vie d’une œuvre est ponctuée de mort, d’oubli. Ce risque d’atteinte met, évidemment, l’œuvre en danger. Toutefois, elle permet à l’œuvre de revivre, d’être redécouverte. Si l’on maintient une protection trop accrue c’est au risque de ne pas voir les œuvres revivre par le biais de ces critiques ou nouveaux arrangements.

L’on peut se demander, à ce titre, ce que serait devenu Bach sans Mendelson ou Mozart.

On a souvent reproché au droit d’auteur sa vision archaïque. Cependant, comme le relève assez justement Valérie Laure Benabou, « Dans sa dimension active, comme dans sa dimension passive, la propriété intellectuelle contribue à assurer un renouvellement de l’offre culturelle. Bien évidemment, en offrant une source de rémunération au créateur et/ou à l’investisseur elle favorise le phénomène de création et sa diffusion. Mais encore, par le retour dans le domaine public, elle fournit un point d’accroche solide à une coexistence culturelle pacifiée». (Propriété intellectuelle et diversité culturelle ? Approche juridique Valérie Laure Benabou in droit d’auteur et culture sous la direction de Jean Michel Bruguière, thèmes et commentaire, la propriété intellectuelle autrement, Dalloz, 2007, p. 75)

En reconnaissant de manière pleine et entière le domaine public en propriété littéraire et artistique, l’on permettrait à la fois sa diffusion et la connaissance de notre patrimoine passé. En rendant payante toute utilisation commerciale de celui-ci, l’on permettrait qu’il finance la création de notre patrimoine futur.

Deux questions subsistent toutefois :

–       Qui doit être en charge de la perception de cette redevance ?

A mon sens, les SPRD (Société de Perception et de repartition de Droits) d’auteur, et de producteurs seraient plus légitimes que l’Etat à percevoir cette redevance. D’une part, parce qu’elles disposent déjà les contrat généraux d’intérêt commun permettant de percevoir la rémunération des utilisations commerciales. D’autre part, en instaurant le principe selon lequel l’intégralité des sommes perçues servirait à un fonds d’aide à la création, il est préférable que ce fond d’aide soit établi par les créateurs eux mêmes que par l’Etat.

–       Qu’adviendraient, une fois « tombées » dans le domaine public, les œuvres sous licence libre ?

En choisissant, contractuellement, de rendre libre dès sa création l’utilisation de son œuvre, l’auteur fait le choix ni plus ni moins que d’exercer son droit d’auteur. Il peut notamment restreindre l’utilisation commerciale de son œuvre. Qu’advient il de ce choix à l’extinction de ses droits patrimoniaux ? Juridiquement, la licence s’éteint au même titre que ses droits patrimoniaux. Dès lors l’utilisation commerciale de son œuvre est possible. Le paiement d’une redevance pour utilisation commerciale de cette œuvre sous licence libre tombée dans le domaine public ne contreviendrait pas, à mon sens, à la volonté première de l’auteur. A l’inverse, lorsque l’auteur fait le choix de libérer totalement son œuvre la question est légitime. Néanmoins, l’intérêt supérieur de la création justifierait à mon sens que le paiement d’une redevance pour utilisation commerciale se fasse également sur ces œuvres.

Illustration photo: ” We want more”

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Michel DONVAL, Titulaire d’un master II recherche au Centre d’Etude International de la Propriété Intellectuelle et juriste en propriété intellectuelle au Cabinet d’avocats Franco-Bresilien M&T Advogados.

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