Le quotidien d’un patron de majors avec Michel de Souza (ex Warner/EMI)

J’ai rencontré Michel de Souza il y a de nombreuses années, alors que j’étais encore chez NRJ. Il était alors Directeur Général de Warner Music. Je l’ai ensuite retrouvé chez EMI, toujours comme Directeur Général.

Nous nous sommes rapprochés  il y a deux, lorsqu’il m’a proposé de travailler sur un de ses projets. Il avait alors quitté les majors pour fonder MDS Conseils, spécialisé dans le marketing opérationnel, la recherche de nouveaux marchés et partenaires pour les labels et artistes. Et j’avoue avoir été véritablement épatée par son discours sans langue de bois, objectif et pragmatique d’un homme qui avait quand même passé 35 ans dans l’industrie, quasi à des postes de directions tout le temps. Un discours carrément plus frais que celui tenu par des bien plus jeunes….Il intervient également de temps en temps à mes côtés sur Radio Neo dans mon émission “On refait la musique”.


– On nous parle de crise du disque depuis plus de 10 ans, toi qui a passé plus de 35 ans dans l’industrie, la crise a t’elle vraiment commencé il y a 10 ans?

Pour être sincère, je n’ai pris réellement conscience de ce qu’on appelle injustement la crise du disque (Il faudrait la nommer la crise de la musique) en 2003.

Plusieurs facteurs à posteriori expliquent cet état de fait:

1- un manque de créativité manifeste des artistes, aggravé paradoxalement, par l’arrivée du CD. Je m’explique. Nous (les responsables des labels, au sens large du terme) avons demandé, dans un soucis consumériste idiot, aux artistes de “remplir” la totalité de l’espace disponible sur un CD (de l’ordre de70 minutes), alors que les contraintes du vinyle permettaient de s’exprimer grosso modo pendant 30 à 40 minutes. Du jour au lendemain les artistes, parce qu’un nouveau support arrivait sur le marché, ne sont pas devenus doublement plus créatifs. D’ou ce sentiment, souvent légitime de la part des consommateurs, que le contenu des CD est moins attractif, car 20 ou 30 minutes riches, et 30 à 40 de “remplissage” musical.

2- un manque de lisibilité et de compréhension du prix de vente des CD de la part des consommateurs, avec des prix variant 3 à 4 fois (du simple au double) dans l’année pour un objet CD identique, sans aucune légitimité. Demain étant toujours moins cher, les consommateurs non-fans ont intégré cette notion de prix fortement à la baisse dans les mois suivant la première sortie commerciale, et retardent leurs actes d’achat.

3- une banalisation du support (distribution massive en hyper marché dès le milieu des années 80) et des interprètes (n’importe qui peut faire un disque, voir les “carrières” plus d’éphémères des téléréalistes).

4- une incompréhension totale de la révolution Internet, ou nous avons tenté de transférer nos recettes du monde physique au monde digital, en culpabilisant (voire en juridiciant) le consommateur qui n’acceptait plus nos diktats créatifs et notre modèle économique.

5- la financiarisation de l’industrie musicale. La totalité des acteurs principaux appartiennent à des groupes capitalistiques, cotés en bourse, et doivent répondre, en terme de résultats financiers, aux “attentes” du marché. Cette exigence financière très courtermiste (annonce de résultats tous les trimestres, les fameux “Quarter” que tout responsable de la musique a subit) est en contradiction totale avec le processus créatif d’un artiste. Preuve en est, le mois de mars est aujourd’hui en terme de Chiffre d’Affaire le 3 ème mois de l’année, car 2 majors (sur les 4) clôturent leurs exercices fiscal ce mois là, avec une pression délirante du management central (Londres ou New York) pour atteindre les objectifs de résultat pré annoncés à la communauté financière.

Tu as été le patron de plusieurs majors. Quel est au quotidien le rôle d’un patron de maison de disques?

Je pense que cela dépend fortement de ses centres d’intérêts professionnels des uns et des autres. Lorsque vous êtes Directeur Général, par définition votre fonction vous amène à être présent sur tout les fronts : signatures ou renouvellement de contrats, calendrier et planification des sorties, ventes et marketing, logistique, nouvelles technologies, ressources humaines, gestion financière, etc. Personnellement, j’étais très investit dans les départements commercial et vente, marketing, organisation globale de la société, reporting au centre, et …résultats financiers (qui vous donne une réelle liberté de travail vis à vis de vos patrons lorsque ceux ci sont atteints voire dépassés). Ma journée de 10/12 heures était rythmé au travers de rendez vous et réunions avec les différents départements pour expliquer, caler nos stratégies et contrôler la pertinence de celles ci. –

On différencie souvent majors et labels indés en disant que les labels indés ont “eux une direction artistique”, qu’en penses-tu?

Honnêtement, je ne vois pas de grandes différences entre les gros indépendants et les majors. Par contre sur les petites structure (moins de 500 K € de CA annuel), je constate une vrai différence, non pas liée uniquement au volume du CA, mais à tout point de vue (curiosité artistique, démarche commerciale, modèle économique, organisation interne)

Les majors ont elle toujours produit des titres dit “star’ac”, à savoir uniquement marketing?

Oui ce phénomène a toujours existé. C’est la forme de la médiatisation qui a changé, évolué avec les changements d’habitude de consommation des médias. Que cela existe ne me pose pas de problème. Le problème aurait été que ce modèle devienne hégémonique. Ce n’est pas le cas.

Quand as tu compris que le digital changerait fondamentalement l’industrie?

Je n’est pas été très visionnaire, car ma prise de conscience date de 2004. Je pense que nous en sommes à l’âge de pierre : Internet pour le grand public n’a que 15 ans, et quelle révolution au quotidien pour nous tous. 2015/2020 va voir arriver sur le marché du travail, la première génération née avec Internet. La révolution ne fait que commencer.

Comment envisages-tu l’avenir pour l’industrie du disque?

L’avenir du disque, assez sombre. Par contre je suis très optimiste pour l’avenir de la musique. De belles opportunités se dessinent. Le marché est extrêmement poreux, et je ne suis pas sur que les acteurs majoritaires d’aujourd’hui soient ceux de demain, surtout quand nous voyons que l’industrie du disque a perdu toutes les batailles majeures (radio FM, Grande distribution, Internet).

Que conseillerais tu à un artiste qui veut se lancer ?

D’être lui même, sincère, ouvert, différent. Après le reste c’est de la technique : maîtrise des réseaux sociaux, du marketing, de la distribution, des médias, etc..

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About Virginie Berger

Virginie Berger est la fondatrice de DBTH (www.dbth.fr), agence spécialisée en stratégie et business développement notamment international pour les industries créatives (musique, TV, ciné, gastronomie), et les startups creative-tech. Elle est aussi l'auteur du livre sur "Musique et stratégies numériques" publié à l'Irma. Sur twitter: @virberg

8 comments

M. De Souza soulève des points intéressants, merci pour ces petites révélations des dessous de la musique ; pour le coup le mot “industrie” musicale prend tout son sens.

Un point néanmoins attire mon attention : “un manque de créativité manifeste des artistes” ; Les artistes ne sont-ils pas bridés par les maisons de disques ? On parle souvent de formatage (et notamment en référence aux chansons qui doivent passées en radio et qui pour cela doivent respecter un certain format) ; l’artiste a t-il vraiment le temps et la liberté d’être créatif ? Quand la maison de disque lui fait une avance, il se doit de faire un album coute que coute or je ne sais pas si sous cette pression, la créativité est à même de se développer…

Je reconnais bien dans ces propos l’accent chantant (!) de Michel.
Je voudrais mettre l’accent sur ce qu’il appelle la “financiarisation” de l’industrie de la musique, Je pense que les marchés financiers (et ceux qui y ont fait appel) ont effectivement une grosse responsabilité dans l’état des lieux dressé pas Michel. Cela fausse completement la nature du travail des labels et des maisons d’éditions car les dirigeants ne prennent plus de décisions en fonction des interets a court, moyen et long terme de la société dont ils ont la charge, mais uniquement en fonction des objectifs trimestriels.
Cette dictature a influé de facon extremement negative sur une maison comme EMI qui, n’étant pas adossées a un grand groupe de communication comme Universal, Sony ou BMG, a été sans cesse ballottée au gré des interets de la City. (Je renvoie au livre de Brian Southall ‘The rise and fall of EMI’ sur ce sujet)
Pour ce qui est de la créativité, ce qui s’est aussi passé c’est ce que j’appellerais le syndrome Michael Jackson. Certains artistes, dont Jackson, mais aussi Mariah Carey, Celine Dion, Prince, Madonna et d’autres se sont soudain retrouves les maitres du monde, avec des labels qui n’ont rien a leur refuser. Y compris lorsque le produit final n’est pas a la hauteur. Et comme l’argent rentrait tout de meme, les labels ont depensé de facon inconsequente sur des projets inconsequents.
Jj’ai en memoire un projet chez Sony qui a couté plusieurs millions de francs sans que la valeur intrinseque de l’artiste le justifie a priori alors que l’ardente et courageuse Patricia Bonnetaud, qui nous a malheureusement quitté la semaine derniere, et qui officiait dans la meme maison, devait se battre avec des bouts de ficelles pour ses groupes de rock alternatifs…
Du coup, pas mal de disque ont trouve le chemin des bacs sans réelle justification artistique. Puis est venue la TV réalité et son cortege de Pop Idols ephemeres.
Tout ceci n’était pas de nature a rendre le consommateur attendri par les pratiques d’une industrie qui avait perdu sa boussole et explique certains comportements.

bonsoir,
pour expliquer la crise du disque, monsieur de souza met en premier le manque de créativité manifeste des artistes et je suis entièrement d’accord avec lui! mais il ne donne pas la vraie explication, mais je vais vous donner la mienne: si l’on n’est pas capable de présenter un produit “fini”, personne ne vous écoute, on se moque de vous, même! donc il ne reste que les bons musiciens et ingénieurs du son (ou les gagnant du loto) qui sont capable de vous sortir des morceaux superbement mixés mais sans véritable mélodies, des chants sans émotions etc… et la technique sans l’émotion, ça ne se vend pas, ça se vole! mais un artiste qui vous donne la chair de poule à l’écoute,qui vous fait vibrer, on achète son cd (une façon de lui dire “je t’aime”) pour le remercier, et on le savoure, on le serre contre son coeur, on le pose sur son bureau et on l’admire et on l’écoute mais pas en mp3!
et que font les directeurs artistiques? ils se contentent de fouiner dans les festivals ou autres, et là, on retrouve les personnages cités plus haut! les professionnels du son!
alors comment faire, monsieur de souza? avez-vous réfléchi à ce problème?
bonne soirée à vous.

et à “judelu”, concernant le formatage, l’artiste à quand même, sur un album de douze titre,l’oportunité de placer quelques titre de son choix et à lui d’inciter les média à s’interresser à ceux-ci!
et concernant le temps, un créatif n’en à pas besoin, ça “sort” tout seul! les autres, deux années en studio ne suffiront pas!

à emmanuel, tu dit “Et comme l’argent rentrait tout de meme” donc je pense que ces majors avaient raison puisque l’argent rentrait sauf qu’ils auraient du l’utiliser pour trouver de nouveaux artistes mais ils ont préférés engraisser leurs actionnaires, voilà l’erreur à mon avis…

et pour finir, adrien, tu à du pin sur la planche car des fôtes sur des mos compliqués, ça pace mais des foie sa crin, entend-tu les fautes de français de certains personnages politique qui prétendent nous gouverner demains et qui, la plupart, sont avocats de formation?!

Bonsoir Jean-Michel,
Votre commentaire a du sens et je rejoindrais votre avis si on oubliait pas le troisième facteur : le client ! Pensez-vous vraiment que nous sommes face à ce public idéal que vous décrivez et qui ne cherche qu’à acheter un “produit fini” et de parfaite qualité ? Quand les “stars” de la télé-réalité vendent des milliers de disques pensez-vous que c’est parce qu’ils donnent la chair de poule à tous ceux qui achètent ? Enfin ne pensez-vous pas tout simplement que les modes de consommation évoluent et que même avec l’album le plus parfait et le packaging le plus léché, aujourd’hui la musique se consomme en mp3 avec les écouteurs scotchés aux oreilles durant les transports ?
Je ne remets pas en cause le manque créativité des (certains) artistes bien au contraire, je constate tous les jours les sons réchauffés et totalement dénués de sens artistique. Néanmoins il est trop facile de penser que l’artiste en maison de disque a les pleins pouvoirs pour faire valoir son oeuvre. Il fait partie d’une stratégie globale et si le chef de produit décide de mettre un single en avant, il n’ira pas parler d’un autre son lors de sa promo. Pour le temps… je ne suis pas artiste moi-même. Mais on constate que dans beaucoup de milieu (le livre notamment) sortir une première oeuvre qui rencontre un succès est assez facile, il n’y a pas de pression ni d’attente. Puis les créa sont des hommes avant tout, ils ne sont pas tous égaux devant la créativité. Certains enchainent des titres excellents très rapidement, d’autres ont besoin d’un déclic, de temps.
Quoi qu’il en soit il serait un peu simpliste d’expliquer toute la crise de la musique avec les critères que nous citons ; néanmoins j’en retiens effectivement que les grandes maisons de disques ne sont pas finalement les seuls responsables.

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