Accord Creative Commons/Sacem: De vives critiques des acteurs de la musique libre

Le mois dernier, la Sacem et Creative Commons France ont signé un accord permettant aux sociétaires de la Sacem, auteurs, compositeurs et éditeurs de placer sous licence creative commons à usage non commercial (3 licences existantes) les oeuvres dont ils sont ayants-droits.

Cette expérience pilote sur 18 mois constitue une étape importante pour le développement des Creative Commons en France, car jusqu’à présent les auteurs de musique étaient contraints de recourir à la gestion individuelle de leurs droits s’ils voulaient employer des licences Creative Commons, la SACEM n’admettant pas que ses membres le fassent.

Numerama présentait ainsi cet accord:

Concrètement, les auteurs, compositeurs et éditeurs de musique membres de la Sacem ont désormais la possibilité de choisir sur le site internet de la société de gestion chacune des œuvres dont ils sont ayants-droit et qu’ils souhaitent placer sous une licence Creative Commons. Le choix s’impose entre trois licences qui excluent toute forme d’utilisation commerciale, qui reste interdite sans le paiement de redevances à la Sacem.

Quasiment immédiatement, cet accord a fait l’objet de vives critiques, notamment, et étonnamment, dans les communautés de musique libre. Numerama comme S.I.Lex avaient relayé quelques questionnement, notamment sur la notion de licence non commerciale.

Ainsi Guillaume Champeau dans son article sur Numerama pointait ses doutes face à la forme de l’accord et ses critiques “devant cet effet d’annonce de la SACEM, soutenu par la fondation Creative Commons et son chapitre français“. Il dénonçait l’exclusion des acteurs du mouvement du Libre (associations, labels, auteurs, mélomanes) des débats et l’appropriation des discussions par CC France. Les commentaires de cet article était aussi vraiment interessant, la plupart des supporters des CC ne soutenant pas cet accord sous sa forme actuelle.

Numerama critiquait aussi la base de l’accord (la version 3.0 France des licences CC (licence en cours de transcription, avec une évolution jugée contestable vers une augmentation des responsabilités de l’acceptant) et le manque d’écoute de CC France sur les reserves portées à l’encontre de cette version, réserves portées par certains acteurs du mouvement du Libre (“acteurs de terrain en prise directe avec les usages au quotidien des licences libres et ouvertes” expliquait Guillaume).

Sur son site S.I.LEX, Calimaq se penchait sur la notion de licence non commerciale et notamment sur la prise en compte (ou pas) des usages collectifs dans cet accord. En effet, comment définir “l’usage non commercial” sans que cela vienne au final à interdire des formes d’usages collectifs? L’article concluait par “A défaut de prendre  en compte correctement cette question, il me semble que ces accords constitueraient une grave régression pour les licences libres en France et non un progrès.

Conclusion malheureusement beaucoup entendu autour de cet accord.

Précision aussi d’importance: Les licences CC avec la clause NC ne sont, et quoi qu’il en soit, pas libres car il s’agit seulement de licences de libre diffusion.

L’Association Musique Libre qui édite la plateforme Dogmazic, et le collectif Revolution Sound Records ont ainsi publié un communiqué commun dans lequel ils dénonçent l’accord, sa mise en place, sa rédaction et leur exclusion. Ils annoncent qu’ils continueront à ne pas proposer de musique déposée à la Sacem.

Leur critique est vive, notamment sur la gestion de l’accord par le chapitre français Creative Commons “Nous appelons le chapitre français de la fondation CC à s’appuyer de nouveau sur la communauté du mouvement du Libre, à nous entendre, à prendre en considération nos revendications ou idées d’évolution, à ne plus se murer derrière un silence hautain et surtout à ne plus parler en notre nom. CC France n’est pas l’unique dépositaire du Libre en France (pas plus que la fondation CC ne l’est dans le monde), et il existe bien d’autres licences utilisées(9))”

Ils pointent aussi les nouvelles orientations de CC France vers une culture libre uniquement promotionnelle. Comme ils l’expliquent, “« Libre » ne signifie pas gratuit, mais implique un autre rapport entre le créateur et le public.”

Ils annoncent aussi continuer à ne pas diffuser d’œuvres d’artistes sociétaires de la SACEM, y compris ceux ayant opté pour une licence CC, tant que la SACEM n’aura pas corrigé sa définition de la non-commercialité, et qu’elle limitera l’expérience à des licences faisant peser des risques juridiques sur les utilisateurs.


Voici leur tribune:

La SACEM et Creative Commons viennent d’annoncer la mise en place d’une expérience pour une durée de 18 mois, permettant aux sociétaires de la SACEM de « développer la promotion de leurs œuvres » en ayant recours, tout en continuant à confier la gestion de leurs œuvres à la SACEM, aux licences Creative Commons, option Non-Commerciale (CC BY-NC / CC BY-NC-SA / CC BY-NC-ND version 3.0 France).[1]

Jusqu’à présent, la SACEM avait toujours officiellement refusé une telle compatibilité.

Depuis leur création, le collectif Revolution Sound Records[2], l’association Musique libre ![3] avec sa plateforme Dogmazic[4] militent et œuvrent pour la reconnaissance et la promotion de l’usage des licences dites « libres[5] » ou ouvertes. Dans ce cadre strict, nous pouvons dire que la prise en compte de ces pratiques et outils juridiques par la SACEM semble être une avancée… si elle prend ces outils pour ce qu’ils sont : une philosophie du partage.

Toutefois, face à la forme que prend cet accord, nous ne pouvons être que critiques devant cet effet d’annonce de la SACEM, soutenu par la fondation Creative Commons et son chapitre français.

Critiques concernant le modus operandi pour arriver à cette expérience, car nombre d’acteurs du mouvement du Libre (associations, labels, auteurs, mélomanes) ont été exclus des débats, et leurs différents points de vue et expériences, les rares fois où ils ont été entendus, ont été ignorés.

Critiques concernant la base « juridique » de l’accord, à savoir la version 3.0 France des licences CC (licence en cours de transcription, avec une évolution plus que contestable vers une augmentation des responsabilités de l’acceptant[6]). Nous nous étonnons aussi de voir que CC France continue d’ignorer les nombreuses réserves à l’encontre de cette version, réserves portées par certains acteurs du mouvement du Libre (acteurs de terrain en prise directe avec les usages au quotidien des licences libres et ouvertes).

Critiques envers la volonté de la SACEM (avec le poids qui est le sien — celui d’un monopole de fait) de baliser la notion d’usage commercial au sein de ces licences, et ce en exonérant l’auteur de toute responsabilité. De plus, il apparaît clairement que cette définition engendre déjà des problèmes concernant certains lieux comme les bibliothèques ou les médiathèques(7), certains sites de diffusion portés par des association loi 1901 (Dogmazic, RSR…), certaines initiatives et certains outils (bornes Pragmazic[8], netlabels, web radios).

Critiques et prudents envers la dialectique employée par cette annonce dans laquelle l’utilisation de licences libres ou ouvertes est considérée UNIQUEMENT comme un outil de promotion, dont la gratuité serait le seul argument, remisant au loin la philosophie et l’éthique liées au mouvement du libre et portées par un grand nombre d’auteurs et de mélomanes promoteurs des licences libres ou ouvertes.

« Libre » ne signifie pas gratuit, mais implique un autre rapport entre le créateur et le public.

Pour nous, membres de collectifs, d’entreprises et d’associations d’auteurs et de mélomanes, la musique libre est partie prenante d’une réflexion autour des enjeux politiques, économiques, sociaux et culturels de la création et de la diffusion musicale. Elle n’est pas un simple outil promotionnel au service de l’industrie musicale.

Les termes de cet accord montrent que la SACEM ne sort pas de son conservatisme. La SACEM pose des limites qui rendront la libre diffusion presque inapplicable pour ses propres membres et qui vont apporter aux actuels usagers des licences libres et ouvertes beaucoup de confusion, entraînant par la même occasion une insécurité juridique fâcheuse pour le public.

Ignorant les fondements de la culture libre, la SACEM s’impose (avec l’aide hélas du chapitre français de la fondation CC) sur un terrain qui s’est construit sans elle. L’ère de la simpliste dichotomie « amateurs / professionnels » est révolue : la musique sous licences libres ou ouvertes a désormais accédé à la reconnaissance par sa qualité, son pluralisme et sa diversité.

Des efforts de pédagogie doivent être poursuivis afin de démontrer qu’une alternative est réelle, que la musique sous licences libres ou ouvertes (au-delà d’un moyen d’expression et de visibilité) est aussi un acte philosophique, parfois militant ou revendicatif.

Nous appelons le chapitre français de la fondation CC à s’appuyer de nouveau sur la communauté du mouvement du Libre, à nous entendre, à prendre en considération nos revendications ou idées d’évolution, à ne plus se murer derrière un silence hautain et surtout à ne plus parler en notre nom. CC France n’est pas l’unique dépositaire du Libre en France (pas plus que la fondation CC ne l’est dans le monde), et il existe bien d’autres licences utilisées(9)).

Par conséquent, nous continuerons à ne pas diffuser d’œuvres d’artistes sociétaires de la SACEM, y compris ceux ayant opté pour une licence CC, tant que la SACEM n’aura pas corrigé sa définition de la non-commercialité, et qu’elle limitera l’expérience à des licences faisant peser des risques juridiques sur les utilisateurs.

De plus, les nouvelles orientations de CC France vers une culture libre uniquement promotionnelle sont très éloignées de notre façon de voir les choses concernant le lien entre le donnant droit et l’acceptant. Nous refusons de plonger l’acceptant dans l’insécurité juridique qui découle de la déresponsabilisation de l’ayant droit. Cela nous oblige à exclure et à refuser toutes les œuvres placées sous une licence CC version 3.0 France.

Nous appelons les acteurs du Libre partageant nos points de vue et perspectives à réfléchir COLLECTIVEMENT à la mise en place d’outils pour donner un réel cadre éthique à NOTRE vision du Libre et pour permettre au mouvement des cultures libres d’être réellement représenté, afin de pouvoir peser dans les débats à venir.

21 janvier 2012
Le collectif REVOLUTION SOUND RECORDS
http://www.revolutionsoundrecords.org
L’association MUSIQUE LIBRE !
http://www.dogmazic.net/

(1) : http://creativecommons.fr/549/
(2) : http://www.revolutionsoundrecords.org/
(3) : http://asso.dogmazic.net/
(4) : http://www.dogmazic.net/
(5): http://fr.wikipedia.org/wiki/Licence_libre
(6): http://aisyk.blogspot.com/2011/12/evolution-des-articles-5-et-6-des.html
(7): http://scinfolex.wordpress.com/2012/01/10/accord-sacemcreative-commons-quelles-incidences-sur-les-usages-collectifs/
(8) : http://www.pragmazic.net/
(9) : http://wiki.vvlibri.org/index.php?title=Tableau_Licences et http://www.dogmazic.net/static.php?op=copyleftLicence.html&npds=-1


Communication de l’Association Musique Libre! du 6 mai 2010.

Pour ajouter votre signature à ce communiqué :
http://www.revolutionsoundrecords.org/index.php?e=page&id=957


Illustration photo: “We want more”

Inscrivez-vous à notre newsletter

et recevez les derniers articles du blog tous les lundis!

I agree to have my personal information transfered to MailChimp ( more information )

Nous respectons votre vie privée. Vous pouvez vous désabonner à tout moment.

About Virginie Berger

Virginie Berger est la fondatrice de DBTH (www.dbth.fr), agence spécialisée en stratégie et business développement notamment international pour les industries créatives (musique, TV, ciné, gastronomie), et les startups creative-tech. Elle est aussi l'auteur du livre sur "Musique et stratégies numériques" publié à l'Irma. Sur twitter: @virberg

3 comments

une précision quant à la position de dogmazic (dont je suis co-fondateur) et RSR : la “décision” de ne pas accepter de musique qui serait diffusée par des musiciens sociétaires de la SACEM sous cette licence CC-by-nc-SACEM n’est pas de notre fait en premier lieu, mais s’impose à nous de par les termes mêmes de l’accord et l’acception “restrictive” qu’il pose de la clause ‘nc’ non-commercial : le site de l’association Musique libre !, dogmazic.net, pour entièrement gratuit qu’il soit, offrant la possibilité de faire un don à l’association, entre dans la catégorie “commercial” : les sociétaires de la SACEM ne peuvent donc pas, de par la volonté de la société à qui ils ont fait apport de leurs droits et l’ont mandaté par contrat à cette fin, diffuser leur musique sur notre site.

Un contrat non-exclusif à la Sacem aurait peut-être été plus productif.
Avec la possibilité pour l’artiste de ne pas être obligé de déposer toutes ses oeuvres à la Sacem et de s’occuper personnellement de la gestion de certaines compositions ?

La SACEM ayant vocation commerciale, il est normal, je trouve, qu’elle ait limité la possibilité d’utiliser les licences CC que dans des cas non commerciaux (bon, elle a vraiment une conception extrême du commercial).

De fait, il n’y a que l’obligation pour un artiste sous contrat avec eux de déposer toutes ses œuvres qui est vraiment le point bloquant!

A quand la fin de cette obligation?

Sinon, il y a la possibilité du multi-pseudos? (un pseudo CC et un pseudo SACEM)

Leave a Reply

*