Le cloud, un nuage qui annonce le renouveau de la musique en ligne?

Le lancement du «Cloud Drive» d’Amazon en mars dernier semble marquer un tournant pour l’industrie musicale. De nouvelles questions juridiques se posent concernant les droits des artistes et les labels s’opposent farouchement à ce service qui semble – une nouvelle fois dans l’histoire du web – se développer sans l’accord des maisons de disques. Pourtant, le cloud, s’inscrit dans un processus novateur de transformation des pratiques d’écoute et de dématérialisation des contenus.

Dans une interview accordée à Billboard, Craig Pape, directeur du département musique d’Amazon, présente le «Cloud Drive» comme une réponse aux attentes des utilisateurs des plateformes numériques. En effet, ce service de stockage virtuel permet d’écouter les Mp3 que l’on a chargés de n’importe où, sur n’importe quel appareil (PC, Mac ou Androïd) ; avec 5 Go de stockage gratuit pour commencer. De plus, afin de lire ces morceaux, Amazon a combiné son service avec le lecteur «Cloud Player». Mais, si pour Craig Pape, le «Cloud Drive» est l’équivalent d’un lecteur comme Windows Media Player, pour les labels c’est en fait du streaming… et donc Amazon doit payer !

En réponse aux attaques des maisons de disques, Amazon Music Team leur a adressé une lettre ouverte, diffusée par Reuters : «Nous ne sommes pas à la recherche de licences pour le «Cloud Drive» et le «Cloud Player», puisqu’il n’y en a pas besoin». Pour Amazon, le cloud est en fait un «passive locker» ou «juke box personnel». Cependant, pour David M. Israelite, PDG de NMPA (National Music Publisher’s Association), qui représente 800 sociétés d’édition aux USA, il est particulièrement étonnant qu’Amazon n’ait pas voulu négocier des licences sur les catalogues musicaux avec les labels.

Mais les maisons de disques ne sont pas les seules à en vouloir à Amazon. En effet, le cloud est également un concurrent direct d’i-Tunes. C’est pourquoi, depuis le lancement du «Cloud Drive», Apple s’est aussi lancé dans l’aventure, rejoint par Google avec son «Music beta». Mais seul Apple a souhaité négocier des accords de licences avec EMI et Warner Music ainsi que des accords de diffusion avec Sony et Universal Music.

Pourtant, le service pose encore problème sur le plan juridique. Des labels ont même menacé de poursuivre le «Cloud Drive». Amazon se défend néanmoins grâce à son statut d’hébergeur. Car, à la différence des plateformes de téléchargement comme Napster, le cloud relèverait du régime de la copie privée (fair use).

Un enjeu pour la musique en ligne

Ainsi, pour gagner des marchés sur les plateformes digitales, les géants du web centrent leurs stratégies sur le contrôle du cloud. Ce nouveau standard de stockage pourrait bien devenir l’avenir de la consommation et du partage des contenus audio et vidéo.

Pourtant, ce qui semble être une nouveauté avait déjà été expérimenté en 2000 par Michael Robertson qui avait lancé, sur le site MP3.com, l’application My.MP3.com. Les internautes pouvaient enregistrer leurs CDs en ligne puis les écouter en streaming. Cependant, l’industrie du disque avait poursuivi le site pour violation du copyright et il fut fermé quelques mois plus tard.

Quel sera donc le nouveau leader de la musique en ligne ? Apple, Amazon, Google ou encore Spotify tentent tous d’investir le marché avec ou sans les labels. Dès lors, les services de streaming affinent peu à peu leurs stratégies pour satisfaire le désir revendiqué des utilisateurs de jouir d’une totale liberté dans leurs modes de consommation de biens culturels dématérialisés. Car c’est bien l’enjeu du cloud : profiter de la dématérialisation des contenus pour favoriser encore plus la liberté des utilisateurs… quitte à passer outre les questions juridiques !

Dématérialisation et nouvelles pratiques d’écoute

L’autre aspect du cloud est la diversité. La musique ne s’écoute plus seulement sur un lecteur Mp3 ou sur un Ipod, on peut aussi l’écouter sur son téléphone portable, sur son ordinateur, sur sa tablette numérique, sur sa TV connectée… Les terminaux se sont multipliés et proposent parfois tellement de services communs qu’on a dû mal à savoir l’intérêt de l’un par rapport à l’autre.

Les utilisateurs ont pris l’habitude d’écouter leur musique partout et donc tout le temps.

Sur l’ordinateur lorsqu’on est chez soi, dans la rue sur son Iphone, dans le train avec son Ipad ou sa tablette en lisant un livre numérique, et en enfin chez des amis qui possèdent une base pour lire un Ipod. Le cloud s’inscrit dans ce processus de consommation permanente. D’un point de vue économique, la proportion entre le temps de musique écoutée et sa «monétisation» est finalement assez faible. Et il n’est pas sûr que le taux de conversion des utilisateurs du «Cloud Drive» vers une version payante soit si important, car les internautes ont pris l’habitude d’obtenir des Mp3 gratuitement.

Capacité de stockage Prix Nombre  maximal de morceaux Nombre  maximal de photos Nombre  maximal de vidéos HD
5 Go FREE 1,000 2,000 20 min
20 Go $20 / an 4,000 8,000 1.5 h
50 Go $50 / an 10,000 20,000 3.5 h
100 Go $100 / an 20,000 40,000 7 h
200 Go $200 / an 40,000 80,000 14 h
500 Go $500 / an 100,000 200,000 35 h
1000 Go $1000 / an 200,000 400,000 70 h

Pour encourager cette «conversion», Amazon incite les utilisateurs à acheter sur Amazon Mp3 Store ; 20 Go sont offerts pour un album Mp3 acheté.

Le cloud répond également au désir des utilisateurs de conserver leur musique en sécurité. En effet, quels que soient les problèmes techniques rencontrés sur son ordinateur ou sur son téléphone, les fichiers sont toujours disponibles puisque le stockage est virtuel. Car c’est bien ce qu’il y a de révolutionnaire dans ce nouveau service… il n’y a pas que la musique qui est dématérialisée, le support de stockage l’est aussi. Plus besoin de disques durs externes ou de clés usb… tout comme les CDs et les DVDs, ils seront amenés à disparaître eux-aussi !

Si le XXème siècle a transformé la nature originelle de la musique en la fixant sur un support matériel, il semble que les nouvelles technologies la fassent revenir à son essence immatérielle. L’image physique du support s’efface peu à peu. Cette disparition est toutefois contrebalancée par l’augmentation de la consommation de clip musicaux. En effet, la musique est de plus en plus regardée ! Sur Youtube, par exemple, les clips vidéos atteignent des nombres de vues tels que l’on ne compte plus qu’en millions ! Comme si la musique devait toujours «s’accrochée» sur un autre média pour exister. Ainsi, les musiciens – aujourd’hui encore plus – ne vendent plus seulement du son mais aussi de l’image !

Webographie
Billboard 11 avril 2011 : http://www.billboard.biz/bbbiz/industry/digital-and-mobile/amazon-letter-to-labels-cloud-drive-locker-1005126042.story

Billboard 29 mars 2011 : http://www.billboard.biz/bbbiz/industry/digital-and-mobile/amazon-s-director-of-music-talks-cloud-drive-1005099172.story
Reuters 14 avril 2011 : http://uk.reuters.com/article/2011/04/14/uk-clouddrive-idUKTRE73D06L20110414
ZDNet 30 mars 2011 : http://www.zdnet.fr/actualites/amazon-cloud-drive-les-maisons-de-disques-pourraient-se-rebiffer-39759528.htm

Numerama 29 mars 2011: http://www.numerama.com/magazine/18420-amazon-se-lance-dans-le-streaming-mp3-et-le-stockage-en-ligne.html

Bibliographie
Management Strategies for the Cloud Revolution: How Cloud Computing Is Transforming Business and Why You Can’t Afford to Be Left Behind, par Charles Babcock, McGraw-Hill Professional, 1 juin 2010
Cloud Computing: Implementation, Management, and Security, par John W. Rittinghouse et James F. Ransome, CRC Press Inc, 19 août 2009

Illustration photo: “We want more”

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About Matthieu Dartiguenave

Matthieu Dartiguenave est titulaire d’une licence de philosophie obtenue à l’université de Paris IV – Sorbonne et est journaliste à l’Ina Global, la revue des industries créatives et des médias, spécialisé en musique. Depuis plus de sept ans, il est à la tête du groupe de musique Clawhammers. Il est également compositeur, chanteur, guitariste et harmoniciste - diplômé du Conservatoire National de Région d’Angers. Depuis 2007, il a enregistré deux albums studio et participé à plus d’une dizaine de festivals nationaux. Il est par ailleurs vice-président de l’association DESCibel - organisation de concerts en Bretagne - et de l’association du groupe de musique Clawhammers.

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